Une nuit sans repos
La beauté de lacadémie ne cessait de létonner, il promena son regard sur le décor, admirant lherbe taillée avec soin ployer sous lassaut des gouttes de pluie. Bercé à la fois par le chuintement du vent quamplifiait la longue allée couverte et leau ruisselante de la toiture, il ferma un instant les yeux. Son esprit ségara quelques minutes aux confins de ses souvenirs, pour y retrouver errante au milieu dun panel dimages aux contours indistincts, une jeune femme au sourire radieux. Il serra les poings et une larme perla sur sa joue. Lentement, il ouvrit les yeux, comme pour retarder ce moment où il quitterait celle qui lui avait ravi son cur.
Il prit une profonde inspiration avant de continuer jusquaux cuisines. Les portes entrebâillées laissaient échapper un fumet des plus appétissants. Sans attendre, il pénétra dans limmense salle qui servait également de cantine. Le repas du soir était sur le point dêtre servi et nombre de soldats attendaient assis sur de lourds bancs de bois que leur bol se remplisse dun bon potage fumant. Le brouhaha de leurs conversations emplissait la pièce que les murs de pierres noircies par la fumée des fourneaux renvoyaient en écho. La bonne humeur régnait, les uns riaient à gorge déployée aux récits rocambolesques dun vieux sergent passablement éméché, les autres trinquaient à leur réussite aux épreuves qui faisaient deux des hommes délite. Epuisé par sa longue chevauchée, Lucian approcha dun petit groupe assez tranquille. Ceux-ci laccueillirent avec déférence en apercevant le blason de sa tunique, le dragon dargent pendant de puissance et de bonté tenant dans sa gueule un bouquet de myosotis symbole de la fidélité et du souvenir. Cet ordre aux effectifs réduits, était doté dun important statut au sein du royaume en raison de lentraînement particulier de ses chevaliers. Experts dans la maîtrise de tous les styles de combat mais plus inhabituel dans celle des arcanes, ces seigneurs de guerre combinaient les deux arts à la perfection, le corps et lesprit.
Fiers davoir un tel homme attablé avec eux, les jeunes soldats lassaillirent de questions. Malgré la fatigue, il prit sur lui de rendre le respect quils lui témoignaient en daignant assouvir leur curiosité tout en précisant quil nétait pour linstant quun novice.
La soirée se déroulait sous les meilleurs hospices, les rires et les chants ne tardèrent pas à résonner aux quatre coins de lacadémie. Peu avant minuit, un jeune moine en bure grise se présenta à lui pour le conduire à sa chambre désormais prête.
Lucian pris congé des convives et lui emboîta le pas. La nuit avait rabattu son long manteau de ténèbres sur lacadémie. Le vent colportait un air saturé dhumidité qui fleurait bon la terre mouillée. Du coin de lil, le jeune cadet observait son guide, sa longue bure ne parvenait pas à dissimuler sa fine silhouette. Il devait passer plus de temps le nez dans les livres de prières quaux cuisines se dit-il, un petit sourire moqueur aux lèvres.
- Quel est votre rôle au sein de lacadémie ? Finit-il par demander.
Le moine sarrêta un instant et posa un regard étonné sur Lucian. Sa torche transformait son visage en un ballet dombres et de lumières qui rendait sa chétive physionomie quelque peu inquiétante.
- Je suis ici pour parfaire mon apprentissage au sein du clergé de Nassaria. Je
Un cri étouffé leur parvint, brisant net leur conversation. Localisant la source, ils se précipitèrent tous deux dans sa direction et stoppèrent devant la porte du doyen de lacadémie. Ils échangèrent un regard inquiet. Le jeune moine acquiesça dun signe de tête en voyant Lucian porter la main à son arme. Lentement, celui-ci tira la longue lame courbe de son fourreau dans un crissement métallique. La main sur le loquet, il prit une profonde inspiration avant dentrebâiller lépais battant de chêne.
La pièce plongée dans lobscurité baignait dans un silence pesant. Les deux hommes avancèrent prudemment de quelques pas. La chute dun objet les fit sursauter, braquant aussitôt leur torche vers la zone concernée, ils aperçurent un petit homme courtaud engoncé dans une tunique de cuir carmin, serrant le manche dune longue dague luisante dune main ferme, un rouleau de parchemin de lautre.
- Qui êtes-vous ? Où est maître Nohlam ?
Pour toute réponse, le jeune cadet neu quun petit rire suraigu. Linstant daprès, létrange personnage se jetait sur lui. Dans un réflexe fulgurant, Lucian parvint à éviter la lame mortelle qui lui siffla aux oreilles. Lhomme pivota aussitôt pour lui porter un nouveau coup. La dague glissa sur lavant bras du soldat qui profita du déséquilibre de son adversaire pour se placer sur son flanc et lui asséner un coup sur la nuque avec la garde de son arme. Le petit homme vacilla sous le choc mais parvint dans une manuvre déconcertante à se placer hors de portée de Lucian.
Se jaugeant lun lautre, le silence retomba sur la pièce. Visiblement ébranlé par lattaque du cadet, lhomme cherchait un moyen de couper court à laffrontement. Le moine se tenait toujours devant la porte, éclairant la scène du combat dune main tremblante. Lucian avança lentement dans lespoir dacculer son adversaire dans le coin de la salle. En le voyant progresser vers lui, le petit homme glissa le rouleau de parchemin à sa ceinture. Il se saisit dune petite bourse de toile quil projeta au visage du soldat en répandant une fine poudre grise. Momentanément aveuglé, les yeux irrités par létrange substance, Lucian devenait une proie facile. Profitant de laubaine, lhomme bondit sur lui dague en avant. La lame vint se ficher dans le plastron du guerrier et se brisa net sous limpact. Pris de court, le jeune moine voulut porter secours au cadet mais un violent coup de pied lenvoya rouler au sol. La torche lui échappa des mains et vint sécraser dans un grésillement avant de séteindre, plongeant les protagonistes dans le noir. Quelques secondes sécoulèrent.
- Lumen et candela !
Une douce lumière mordorée vint éclairer la pièce. Le jeune moine se releva et sapprocha de Lucian qui gémissait de douleur.
- Laisse-moi regarder. Dit-il dune voix apaisante.
Il apposa ses mains sur le visage du soldat et prononça quelques mots tirés dune vieille litanie. Une douce chaleur traversa le corps du jeune homme qui cligna des yeux.
- Merci mon ami.
Arborant un sourire, le moine lui fit un signe de tête puis reprit dune mine sombre :
- Malheureusement, je nai pas réussi à empêcher ce misérable de fuir.
- Ce nest rien, occupons-nous de maître Nohlam.
Le corps du vieil homme gisait derrière son bureau. Sur sa tunique, une petite tâche incarnate virait lentement au rouge sombre.
- Il est trop tard
Retenant la rage qui montait en lui, Lucian serra les poings. Son regard se perdit à nouveau dans le vide. Ses pensées cédèrent peu à peu la place aux souvenirs. Inconsciemment, il porta la main au blason qui ornait son armure, ses doigts caressèrent la surface polie représentant Lamsash le dragon dargent et rencontrèrent la pointe dune lame. Le contact glacé de lacier le ramena aussitôt à la réalité. Serrant aussi fort quil pu, il la dégagea du plastron.
- Tout nest pas perdu, il nous reste encore une chance de retrouver lassassin du doyen.
Eberlué, le moine se demandait comment une simple pointe de dague pouvait les amener sur la trace du meurtrier.
- Comment allons-nous procéder ?
- Cest très simple, comme tu as pu le constater, lhomme avait un parchemin dans la main. Je parierais ma vie quil sagit de la lettre de lévêque dAsthrion. Nous avons désormais deux pistes concernant notre homme.
Lucian ramassa la petite bourse de toile qui lui avait valu une cuisante défaite. Celle-ci contenait encore quelques onces de poudre grisâtre quil serait aisé de faire analyser.
- Occupe-toi de maître Nohlam, je dois faire vite, adieu mon ami.
- Axel dErnegharn
Lucian sarrêta net. Dévisageant le jeune moine, il lui fit un signe de tête.
- Merci pour ton aide Axel.
Puis il partit en courant en direction des écuries. Déjà il entendait son compagnon donner lalerte. Il sella son cheval aussi vite quil pu et lenfourcha. Le bruit des sabots résonnait dun écho doutre-tombe sur le sol de terre alourdie par la pluie. On eut dit que le ciel pleurait la perte dun être cher. Le vent accompagnait de ses plaintes le jeune cavalier qui senfonça dans la nuit.