La litanie des ombres
Un rayon de lune traversait la coupole ornée de vitraux et baignait mon visage. Un léger frémissement parcouru mes paupières, saccentuant à chaque seconde. Une brise glaciale traversa la pièce et caressa mon corps inerte. Une violente convulsion me fit me redresser sur mon séant et mes yeux souvrirent dardant tour à tour les corps allongés autour de moi. Glissant au bas du socle de granit, je mapprochais de chacun deux, caressant leurs visages figés dans une agonie éternelle. Un étrange sourire se dessina sur mes lèvres, que je réprimais aussitôt. Lidée déprouver du plaisir dans la mort me fit frissonner. La raison me poussait à fuir cet endroit, à méloigner le plus possible de ces images de souffrance mais ma volonté était comme absorbée, réduite à néant par une force intérieure qui la rongeait lentement.
Une voix murmurante emplissait peu à peu mon esprit.
Ecoute les paroles de la sombre déesse, je viens tapporter la connaissance. Ecoute les paroles de celle que l'on a invoquée sous les noms de 'Mort silencieuse', 'La tisseuse dombres' ou encore 'La buveuse dâmes'. Ecoute moi, mon infant et regarde moi telle que je suis.
Je suis celle qui murmure vos noms à la fin du voyage. Quand le jour se meurt, vous trouvez le repos dans mon étreinte bénie.
Je suis la sorcière, farouche et libre, la tisseuse du temps. Je coupe le fil de vos vies, afin que vous me reveniez. Je tranche la gorge des impies et boit le sang des lâches. Je suis la forge rougeoyante qui transforme vos démons en outils de pouvoir, ouvre toi à mon étreinte et triomphe. Je suis la profondeur veloutée du ciel nocturne, les brumes tourbillonnantes de minuit enveloppées de mystère. Je suis la chrysalide dans laquelle tu feras face à tes terreurs, et de laquelle tu ressortiras vibrant, fort et renouvelé.
Je suis toi, je suis partie de toi et je suis en toi. Cherche moi en dedans et au dehors, emporte mon amour en ton cur et trouve en toi la force de devenir ce que tu dois être.
Pris de panique, je sentais ma raison vaciller. Mes bras fendaient lair comme pour chasser cette aura maléfique, mais rien ny faisait. Mon regard cherchait désespérément à éviter le visage des défunts entreposés sous un linceul de soie opalin, mais il finissait toujours par se poser sur eux. Je ressentais à nouveau la soif, cette soif dévorante qui mavait déjà envahit quelques instants auparavant ou bien était-ce il y a quelques jours, je ne savais plus. Lenvie était insoutenable, grandissante, obsédante. Dans un cri de rage, je me jetais sur le plus proche, mes lèvres touchèrent sa peau encore tiède et sentrouvrirent. Mes crocs senfoncèrent dans sa chair, perforant lartère. Jaspirais avec avidité la douce liqueur au goût si parfumé.
Une explosion de douleur me vrilla alors la poitrine, sous le choc, je maffaissais sur le sol, recroquevillé et hurlant ma souffrance.
Des limbes obscurs, une voix retentit alors, envoûtante, chaude et sensuelle. Du voile d'ombres une femme surgit me fixant de ses yeux daméthyste. Ses longs cheveux dun noir de jais ondulaient à chacun de ses pas. Sa démarche féline ne trahissait aucun son et ses gestes dessinaient une harmonieuse chorégraphie accompagnant ses paroles rassurantes. Elle sétait arrêtée devant moi, effleurant ma joue de sa main, oh comme elle était douce
Elle souriait, tout en elle était apaisant. Lespace dun battement de cils et elle se retrouvait assise à mes côtés, son visage à quelques centimètres à peine du mien. La surprise quelle lisait sur mon visage semblait beaucoup lamuser. Elle étouffait un petit rire mutin, qui allait en se répercutant sur les murs et colonnes du mausolée. Ce rire
cétait elle !
Les souvenirs se bousculaient en moi, kaléidoscope dimages tourbillonnant à une vitesse vertigineuse. Lhomme au masque de sang avait pris ma vie et elle mavait pris ma mort. Jerrais désormais entre deux mondes sans vraiment réaliser ce que jétais devenu.
Coupant court à ce petit interlude, elle reprit dune voix suave.
La guerre des lunes avait atteint son paroxysme. Année après année, siècle après siècle, les noires armées déversaient leur haine et leur violence sur notre terre séculaire. Durant des décennies, nous avons combattus cette menace avec tout le courage et toute la fougue que pouvait nous prodiguer notre sang. Tentant dendiguer les multiples plaies infligées au monde, nous sommes parvenus à maintenir lharmonie céleste sans toutefois éliminer le danger. Poursuivant notre quête éternelle nous avons récolté toutes les informations possibles sur nos ennemis de toujours. Cette tâche est désormais tienne.
Je ne comprenais pas le sens de tout ceci et tentais de protester mais elle marrêta dun geste.
Lhomme qui ta agressé la nuit dernière avait un double visage. Féal des ombres il venait remplir son devoir. Tu as rapporté lors de ton voyage une relique sacrée pour laquelle de puissants ennemis sont prêts à tuer. Tu as éveillé leur intérêt et le mien, tu es débrouillard et plein de surprises. Je tai donc offert limmortalité pour que tu maccompagnes dans cette lutte sans fin. Réfléchis bien avant de me refuser ton aide cela pourrait être fâcheux.
Je nen croyais pas mes oreilles, que métait-il arrivé ? Javais la sensation de sombrer dans la folie. Cette femme dont le charisme était une offense même aux dieux me demandait de rallier sa cause dans une guerre dont je ne connaissais ni les tenants ni les aboutissants. Et puis, qui était ce 'nous' ?
Stoïque, elle attendait ma réponse. Son regard plongé dans le mien mhypnotisait littéralement. Elle murmurait de ses lèvres fines légèrement entrouvertes, une étrange litanie.
Je sentais à nouveau sa voix résonner dans mon esprit.
Sois sans crainte, tu sauras tout de nous bien assez tôt. Pour lheure repose toi mon infant, la route sera longue.
Elle arborait un large sourire laissant paraître des crocs aussi blancs que livoire. Lentement, je sentais monter en moi une étrange torpeur, irrésistible
Mais comment avait-elle su que je me joindrais à elle ?