Le Masque de Sang

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Le Masque de Sang

Messagede lucian le Mer 06 Juil 2005 04:01:30

Port Arkhal

Enfin mon périple maritime touchait à sa fin, au bout d’une calme et agréable semaine. A l’approche du port, dont les eaux scintillaient sous un ciel orangé, mon cœur se mit à battre la chamade. Le quai auréolé de mille feux vibrait encore sous l’affluence des marins débarquant les marchandises des quelques navires accostés récemment. Tonneaux, sacs et caisses en tout genre s’entassaient dans l’immense entrepôt surplombant la vaste étendue du port. Les cris des contremaîtres résonnaient dans l’air frais du crépuscule, auxquels répondait celui des mouettes guettant quelques poissons laissés sans surveillance sur les étals.

Le soleil caressait de ses derniers rayons l’eau cristalline de la fontaine dont les jets dispensaient sa lueur féerique à la petite place en une myriade d’étoiles éclairant le firmament.
De cette scène émanait une atmosphère de quiétude. A quelques pas de là, les derniers volets se fermaient et les hommes, heureux de pouvoir se délasser, se pressaient à la porte de la petite taverne dont l’enseigne, bercée par la faible brise du soir invitait les retardataires à se joindre à eux d’un petit grincement caractéristique. Je me dépêchais de les suivre dans l’espoir de savourer enfin une bonne rasade de bière du pays. Les discussions allaient déjà bon train et je décidais de m’installer sur le petit banc placé sur le fronton de l’établissement pour échapper aux éternels récits rocambolesques de certains marins trop imbus d’eux-mêmes.
La soirée se déroulait sous les meilleurs auspices, les chants fusaient à tout va et les dessous de tables accueillaient dans un fracas de rires et de mobilier bousculé les premiers hommes ivres. Je profitais ainsi une bonne petite heure et avec un plaisir non dissimulé, de l’ambiance festive qui réchauffait mon cœur de marin puis je me dirigeais vers l’aubergiste pour régler ma consommation et louer une chambre pour la nuit.

Je grimpais les quelques marches dont le grincement perçait à peine le brouhaha de la salle commune et entrais enfin dans ma chambre. La pièce était des plus sommaires, près de la porte trônait une simple chaise de bois sur laquelle étaient posés un broc contenant de l’eau claire et une large assiette creuse pour satisfaire à la toilette. Le lit apparemment propre semblait confortable, fait plutôt rare dans les petites villes portuaires. Le sommeil me gagnait, j’éteignis donc la petite chandelle fixée au mur et me glissais sous les draps frais.

Je ne sais depuis combien de temps je dormais lorsqu’un bruit inhabituel me tira de mes songes. Les derniers clients semblaient avoir déserté la taverne. Je l’entendis à nouveau, un petit tintement provenant de l’extérieur. Je me glissais à pas feutrés vers la fenêtre et plissant les yeux, je scrutais la ruelle en contrebas. La faible clarté offrait un camaïeu de lignes aux formes grotesques qui couraient le long des murs en fouettant l’air de leurs membres disproportionnés. La ville plongeait peu à peu dans la douce quiétude de la nuit tandis que la pluie battait le pavé avec rage depuis une bonne demi-heure maintenant, noyant par endroit la route qui disparaissait sous de minces filets d’eau. Une silhouette était là, adossée sous le porche de la maison d’en face, les mains resserrées sur le col d’une cape qui couvrait son corps jusqu’aux genoux. Un feutre à large bord ruisselant d’eau cachait son visage.

Lentement, je fis tourner la poignée et la fenêtre s’entrebâillât. Le rideau frémit un instant sous l’effet du courant d’air. L’homme leva légèrement la tête vers le premier étage. Une violente bourrasque fit onduler le pan de sa cape dans un claquement sec, je pus apercevoir alors l’éclat d’un objet métallique accroché à sa ceinture.
Quelque chose se tramait, je m’habillais en vitesse et décidais d’aller prévenir sans attendre le gérant. Des pas résonnèrent, rythmant les hurlements du vent qui s’engouffrait sous les toitures et dans la petite pièce où je me trouvais l’instant d’avant.

La porte de la taverne grinça dans un concert de percussions et de sifflements puis le silence retomba. La pluie avait détrempé le petit tapis de lin rouge marquant le seuil et piqueté les vitres de multiples étoiles scintillantes sous le clair de lune qui traçait un sillon d’ivoire à travers la salle obscure. L’inconnu fit quelques pas en direction de l’escalier mais s’arrêta net à mi-chemin. Son regard scrutait la pénombre avec méthode, sa main droite glissa sous sa cape et en retira une fine rapière tandis que la gauche serrait un mousquet.
Son visage pivota vers le petit comptoir derrière lequel j’avais trouvé refuge et dans l’éclat de la lueur qui filtrait à travers la fenêtre, j’aperçu avec un frisson d’horreur un masque de sang qui me dévisageait. La panique s’empara de moi lorsque je vis le canon de l’arme braqué sur moi. Je regardais cette ombre humaine, immobile, savourant une victoire facile.
Le pan de sa cape ondula avec lenteur, son bras se détendit. Le temps paru s’arrêter, j’avais la sensation d’évoluer dans un fluide visqueux. Le bruit de son arme heurtant le sol dallé me fit sursauter. Une vive douleur me vrilla la poitrine. Une petite tâche s’étendait rapidement, colorant ma chemise d’une sombre teinte.
C’est alors que son rire retentit, inquiétant, si proche et pourtant si lointain. Elle était là, face à moi un sourire énigmatique aux lèvres. Elle murmura quelque chose, ses mots perçaient la brume qui voilait mon esprit mais je ne pouvais en saisir le sens puis je sentis ses lèvres sur ma gorge et la douceur de ses mains glacées. Mes jambes vacillaient et mes yeux fermaient inexorablement le voile de la mort sur ma triste destinée. Mon voyage à travers l’abîme avait commencé, mais cette nuit là, ce n’est pas la mort qui vint me chercher…

Une soif inextinguible s’emparait de moi. Ma peau rivalisait de seconde en seconde avec la pâleur de la lune. Le moindre de ses gestes était empreint de sensualité et de grâce. Elle se mouvait avec une rapidité hors norme, d’un geste vif elle s’entailla le poignet et me le présenta. Cette nuit là, j’ai bu son sang. Cette nuit là, j’ai survécu à l’appel du néant…
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Messagede lucian le Jeu 07 Juil 2005 04:10:57

La litanie des ombres

Un rayon de lune traversait la coupole ornée de vitraux et baignait mon visage. Un léger frémissement parcouru mes paupières, s’accentuant à chaque seconde. Une brise glaciale traversa la pièce et caressa mon corps inerte. Une violente convulsion me fit me redresser sur mon séant et mes yeux s’ouvrirent dardant tour à tour les corps allongés autour de moi. Glissant au bas du socle de granit, je m’approchais de chacun d’eux, caressant leurs visages figés dans une agonie éternelle. Un étrange sourire se dessina sur mes lèvres, que je réprimais aussitôt. L’idée d’éprouver du plaisir dans la mort me fit frissonner. La raison me poussait à fuir cet endroit, à m’éloigner le plus possible de ces images de souffrance mais ma volonté était comme absorbée, réduite à néant par une force intérieure qui la rongeait lentement.
Une voix murmurante emplissait peu à peu mon esprit.

Ecoute les paroles de la sombre déesse, je viens t’apporter la connaissance. Ecoute les paroles de celle que l'on a invoquée sous les noms de 'Mort silencieuse', 'La tisseuse d’ombres' ou encore 'La buveuse d’âmes'. Ecoute moi, mon infant et regarde moi telle que je suis.
Je suis celle qui murmure vos noms à la fin du voyage. Quand le jour se meurt, vous trouvez le repos dans mon étreinte bénie.
Je suis la sorcière, farouche et libre, la tisseuse du temps. Je coupe le fil de vos vies, afin que vous me reveniez. Je tranche la gorge des impies et boit le sang des lâches. Je suis la forge rougeoyante qui transforme vos démons en outils de pouvoir, ouvre toi à mon étreinte et triomphe. Je suis la profondeur veloutée du ciel nocturne, les brumes tourbillonnantes de minuit enveloppées de mystère. Je suis la chrysalide dans laquelle tu feras face à tes terreurs, et de laquelle tu ressortiras vibrant, fort et renouvelé.
Je suis toi, je suis partie de toi et je suis en toi. Cherche moi en dedans et au dehors, emporte mon amour en ton cœur et trouve en toi la force de devenir ce que tu dois être.


Pris de panique, je sentais ma raison vaciller. Mes bras fendaient l’air comme pour chasser cette aura maléfique, mais rien n’y faisait. Mon regard cherchait désespérément à éviter le visage des défunts entreposés sous un linceul de soie opalin, mais il finissait toujours par se poser sur eux. Je ressentais à nouveau la soif, cette soif dévorante qui m’avait déjà envahit quelques instants auparavant ou bien était-ce il y a quelques jours, je ne savais plus. L’envie était insoutenable, grandissante, obsédante. Dans un cri de rage, je me jetais sur le plus proche, mes lèvres touchèrent sa peau encore tiède et s’entrouvrirent. Mes crocs s’enfoncèrent dans sa chair, perforant l’artère. J’aspirais avec avidité la douce liqueur au goût si parfumé.
Une explosion de douleur me vrilla alors la poitrine, sous le choc, je m’affaissais sur le sol, recroquevillé et hurlant ma souffrance.
Des limbes obscurs, une voix retentit alors, envoûtante, chaude et sensuelle. Du voile d'ombres une femme surgit me fixant de ses yeux d’améthyste. Ses longs cheveux d’un noir de jais ondulaient à chacun de ses pas. Sa démarche féline ne trahissait aucun son et ses gestes dessinaient une harmonieuse chorégraphie accompagnant ses paroles rassurantes. Elle s’était arrêtée devant moi, effleurant ma joue de sa main, oh comme elle était douce… Elle souriait, tout en elle était apaisant. L’espace d’un battement de cils et elle se retrouvait assise à mes côtés, son visage à quelques centimètres à peine du mien. La surprise qu’elle lisait sur mon visage semblait beaucoup l’amuser. Elle étouffait un petit rire mutin, qui allait en se répercutant sur les murs et colonnes du mausolée. Ce rire… c’était elle !
Les souvenirs se bousculaient en moi, kaléidoscope d’images tourbillonnant à une vitesse vertigineuse. L’homme au masque de sang avait pris ma vie et elle m’avait pris ma mort. J’errais désormais entre deux mondes sans vraiment réaliser ce que j’étais devenu.
Coupant court à ce petit interlude, elle reprit d’une voix suave.

La guerre des lunes avait atteint son paroxysme. Année après année, siècle après siècle, les noires armées déversaient leur haine et leur violence sur notre terre séculaire. Durant des décennies, nous avons combattus cette menace avec tout le courage et toute la fougue que pouvait nous prodiguer notre sang. Tentant d’endiguer les multiples plaies infligées au monde, nous sommes parvenus à maintenir l’harmonie céleste sans toutefois éliminer le danger. Poursuivant notre quête éternelle nous avons récolté toutes les informations possibles sur nos ennemis de toujours. Cette tâche est désormais tienne.

Je ne comprenais pas le sens de tout ceci et tentais de protester mais elle m’arrêta d’un geste.

L’homme qui t’a agressé la nuit dernière avait un double visage. Féal des ombres il venait remplir son devoir. Tu as rapporté lors de ton voyage une relique sacrée pour laquelle de puissants ennemis sont prêts à tuer. Tu as éveillé leur intérêt et le mien, tu es débrouillard et plein de surprises. Je t’ai donc offert l’immortalité pour que tu m’accompagnes dans cette lutte sans fin. Réfléchis bien avant de me refuser ton aide cela pourrait être fâcheux.

Je n’en croyais pas mes oreilles, que m’était-il arrivé ? J’avais la sensation de sombrer dans la folie. Cette femme dont le charisme était une offense même aux dieux me demandait de rallier sa cause dans une guerre dont je ne connaissais ni les tenants ni les aboutissants. Et puis, qui était ce 'nous' ?
Stoïque, elle attendait ma réponse. Son regard plongé dans le mien m’hypnotisait littéralement. Elle murmurait de ses lèvres fines légèrement entrouvertes, une étrange litanie.
Je sentais à nouveau sa voix résonner dans mon esprit.

Sois sans crainte, tu sauras tout de nous bien assez tôt. Pour l’heure repose toi mon infant, la route sera longue.

Elle arborait un large sourire laissant paraître des crocs aussi blancs que l’ivoire. Lentement, je sentais monter en moi une étrange torpeur, irrésistible… Mais comment avait-elle su que je me joindrais à elle ?
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