Lorsque la mort s’adressa à Yaakab pour indiquer sa prochaine destination, c’est dans le souffle du vent que sa voix d’outre-tombe lui parvint, comme un murmure :
« Rends toi dans le Royaume de Hoba, de l’autre côté du continent, en poursuivant vers le Sud-Est. Là, je te dirais quoi faire ».
Yaakab était abasourdi. A l’autre bout du continent ! Sans argent, avec juste quelques rations, la mort l’envoyait à l’autre bout du continent ! Et en sus, il devait trouver des compagnons pour le protéger… Aucun mercenaire digne de ce nom ne le suivrait pour de belles promesses, ou pour la seule affirmation de servir la mort ! Et il n’avait aucune personne de connaissance en ces contrées !
Il devait pourtant obéir ! C’était le prix pour sa vie qu’avait fixé la mort elle-même…
Il hésitait entre demeurer sur les terres de Durairne, civilisées, et donc source de rencontres, pas forcément souhaitables, mais aussi permettant sans doute un accès plus facile à la nourriture, les soins, … Ou alors, prendre un peu plus au sud et poursuivre en pleine nature, dans les immenses landes arbustives, en direction des montagnes qu'il voyait dans le lointain sud-est…
Dans tous les cas, la route serait très longue, probablement pénible et semée d’embûches.
Yakab estimait la distance du voyage en pleine nature à 130 lieues, il faudrait donc au minimum dix-sept jours avant d’atteindre le pied des montagnes, et après, il devrait sans doute les contourner.
Par la route, le trajet serait moins droit, 200 lieues au bas mot, mais plus rapide car plus praticable, mieux aménagé, soit douze jour pour la même destination.
Il choisît d’aller au plus vite et sans doute au plus facile, autrement dit par la route. Il lui faudrait faire preuve de la plus grande prudence : venant de Cideria, il serait considéré comme un espion, et si il parvenait à se faire passer pour un jeune Durairnien, il serait enrôlé de force pour se battre contre sa propre nation !
Il marcha plein est durant trois jours. Les deux premiers jours se passèrent sans encombre, mais lors du troisième, il quitta les plaines arbustives pour entrer dans la savane, où la progression fut moins aisée, et perdit une journée et une ration de plus.
C’est donc la besace vide et sans le sou que Yaakab arriva à Gemstrey, ville la plus à l’est de Durairne.
Cette ville fortifiée et militarisée était sans commune mesure avec les villes de Cidéria, et Yaakab ne pouvais que constater combien les efforts de guerre de son fou de roi étaient vains ! Les seuls effectifs de Gemstrey auraient suffi à vaincre les armées cidériennes ! Mais là n’était plus son problème : il avait une quête à accomplir. Une quête confiée à ses soins par la mort en personne…
Il lui fallait au plus vite trouver de quoi gagner quelques pièces pour acheter sa pitance et poursuivre sa route. Il se rendit donc à l’auberge la plus proche, en quête de rumeurs intéressantes…
Au chêne de la grenouille cuivrée était une auberge de qualité médiocre tenue par une femme gnôme, Dingaer. Cette coïncidence lui rappela sa ville natale, et le mis à l’aise.
Le bâtiment semblait avoir subi les ravages de la guerre. Au rez-de-chaussée, se trouvait une salle pouvant contenir vingt personnes. Yaakab y entra discrètement et s’installa dans un coin, à l’écart, pour ne pas attirer l’attention.
A l'arrière, se situait la cuisine où Loriel Valaster, une elfe était au fourneau. La cuistot avait pour spécialité un cake aux carottes dont l’odeur, qui émanait de la cuisine, ne suscita aucune envie chez Yakab.
Il était possible de bénéficier des services suivants dans cet établissement :
- Quatre misérables chambres et un dortoir tout aussi triste.
- Un scribe, qui, malgré de nombreuses fautes, pouvait rédiger contrats et actes de vente.
- Un palefrenier, qui menait les chevaux à l'étable.
- Une salle de réception, plutôt miteuse mais pour le prix...
Cette auberge était principalement occupée par des ivrognes qui oublient leurs soucis dans la bouteille, de plus la proximité des bas-quartiers, rendait cet établissement peu fréquentable.
Vraiment, la ressemblance avec l’Anguille rieuse était singulière !
Tendant l’oreille, comme il avait appris à le faire tout petit, pour surprendre les conversations sans en avoir l’air, Yaakab entendit différentes rumeurs.
Aleifr le Kraken, un mercenaire notoire, avait été vu se faufiler la nuit dans les chambres à coucher du maire, ce qui interrogeait beaucoup les habitants…
On se plaignait beaucoup du racket de protection, exercé par gens d’arme, et la plupart des détenus de la prison étaient des personnes qui avaient refusé de payer, ou n’en avait pas eu les moyens.
Gemstrey aurait été construite sur un ancien lieu de sépulture et les fantômes de ceux qui y étaient enterrés auraient envoyé des cauchemars à ceux qui dormaient sur leurs ossements.
Une voleuse, qui se faisait appelé Charité, pouvait trouver n'importe quoi pour le bon prix, que son propriétaire veuille ou non s'en séparer.
Lord Haret Whitewood était, disait-on, disposé à payer généreusement pour le retour d'une épée ancestrale précieuse perdue par son grand-père.
Selon certaines rumeurs, un groupe de voleurs envisageait d’attaquer des caravanes en route vers la côte. Le riche négociant Sotman Stokes engageait des aventuriers pour protéger ses cargaisons.
Yaakab sortit aussi discrètement qu'il était rentré, gardant ces informations dans un coin de sa mémoire, et il décida finalement de quitter la ville pour chercher dans la nature de quoi se sustenter, c’était de loin ce qui lui parût le plus simple et le plus prudent.
La savane environnante offrirait sans doute ce qu'il cherchait...
La savane s’avéra moins généreuse que supposé, le terrain autour de la ville étant rendu difficilement praticable par des herbes coupantes et des plantes épineuses. Yaakab parvint tout de même à trouver quoi manger jusqu'au lendemain soir. Il partit de bonne heure et marcha vite sur la route, parcourant dix-huit lieues pour arriver au soir à Gilliangate.
Cherchant du travail et un endroit ou dormir, il trouvai surtout des injures et des coups. Il tomba même sur un serpent agonisant qu'il faillit écraser et s'écarta rapidement.
Il cherchait en vain jusqu’à ce qu'il rencontre un sculpteur de renom qui lui expliqua qu’il cherchait à créer une effigie de son dieu, mais il avait besoin d'aventuriers intrépides pour l'aider à obtenir le marbre de sa statue. Il acceptait d’offrir le gîte et le couvert contre ce service… Bien que ne se jugeant pas intrépide, Yaakab acceptai de bonne grâce, trop heureux de pouvoir prendre un vrai repas et un vrai repos.
Le marbre le plus proche qui convenait aux besoins de l'artiste se trouvait dans une carrière située non loin. Ceux qui possédaient la carrière ne voulaient pas lui vendre le marbre, car ils vénéraient un dieu différent.
Pilwin voulait tailler l'image de son dieu dans un marbre pur, et seule la carrière voisine offrait cette possibilité. Mais les propriétaires de la carrière avaient foi dans un dieu différent et vendre le marbre à Pilwin aurait été une violation de leurs principes.
Yaakab imaginait mal prendre la carrière de force, elle était, selon Pilwin, fortement gardée et cela aurait été une tâche impossible pour le jeune cartographe. À cela s’ajoutait la difficulté de récolter et transporter le marbre…
Les deux hommes passèrent une partie de la nuit à élaborer une stratégie, et après s’être repu, lavé et avoir dormi, Yaakab était prêt : Pilwin lui fournît des vêtements semblables aux adorateurs du dieu vénéré par les propriétaires, ainsi qu’une charrette tirée par deux bœufs solides et suffisamment d’or pour acheter le marbre en quantité et qualité suffisante. Il lui expliqua le chemin à suivre pour se rendre à la carrière, et Yaakab s’exécuta.
Arrivé à la carrière, jil fût accueilli avec méfiance. Il fallut convaincre les propriétaires qu'il était commissionné par un employeur lointain qui avait eu vent de l’excellente qualité de leur marbre. Le mensonge passa sans problème, le fanatisme que Yaakab feignit l’emportant sur leur raison.
Il fallait à présent conclure l’Achat au meilleur prix et sans se faire arnaquer. Mais son piètre sens des affaires le trahit, et Yaakab ne pus acheter qu’un bloc plus petit que celui demandé par Pilwin. Il devrait s’en contenter… Il aida donc à charger le marbre sur la charrette et reparti, conscient de n’avoir que partiellement rempli sa mission. Voyant arriver son précieux chargement, Pilwin sauta d’abord de joie, puis, constatant que son or avait été dépensé dans la totalité pour un bloc plus petit que ce qu’il voulait, il se renfrognât.
Ayant néanmoins pris les risques et rapporté le marbre, Yaakab estimait avoir droit à sa récompense et réclama son dû, mais il lui fallut négocier avec un Pilwin déçu et remonté. Yaakab menaça de rapporter le marbre et de le dénoncer s’il ne cédait pas.
Comme il ne pouvait décharger le bloc seul, Pilwin accepta de payer, à la condition que Yaakab l’aide d’abord à rentrer le bloc dans son atelier. L’affaire conclue et le bloc hors des regards, Yaakab reçu dix pièces d'or, le tarif pour un voyage sur une route difficile, et Pilwin le pria de disparaître.
Il ne s’était pas fait un ami, mais au moins il avait à présent de quoi acheter de la nourriture, un bon lit pour la nuit, et peut-être un peu d’équipement.
Il choisi tout d’abord d’aller goûter au confort sommaire d’une bonne auberge où il paya trois pièces la nuit et le repas :
Se renseignant sur la présence de personnes susceptible de l’accompagner dans son voyage, on lui indiqua le nom de Thegas Dircor, un aventurier, un fameux chasseur disait-on...
Le lendemain, on le lui présentât et l’homme le mit tout de suite à l’aise par son évidente bienveillance. Sans tout lui dire, Yaakab lui expliqua qu'il devait traverser le continent et que son aide serait fort bienvenue.
Le mercenaire accepta de l’accompagner à la condition que lui soit versé dès à présent la moitié du tarif pour un voyage sur une route difficile, soit cinq pièces sur les dix que valait ce service, condition que Yaakab accepta sans sourciller, trop heureux d’avoir trouvé son premier compagnon de voyage.
Avec les deux pièces qu'il j’avais encore en poche, Yaakab acheta des rations pour deux jours et le groupe se mit en route.
Je me nomme Yaakab Mouahyar. Je suis cartographe… Et désormais je ne voyage plus seul.
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