TRAINING - EVE

[EVE]

*Libérée, délivrée, c'est décidé, je m'en vais !* [hrp]Hihi, désolée je n'ai pas pu m'en empêcher [/hrp]

Enfin libre ! L'automate était enfin parvenu à sortir de la roulotte et c'est avec un certain soulagement qu'il capta la douce caresse de l'air nocturne sur son visage figé. Un visage qu'il pouvait à présent ôter pour reprendre son apparence originel. Profitant de la nuit et que tout le monde soit endormi, EVE pouvait enfin redevenir elle-même. Elle commença d'abord à sonder les alentours pour vérifier si personne n'approchait puis c'est seulement sous le regard curieux de deux chats que l'étrange métamorphose se déroula. L'automate disparu bientôt et c'est un autre être qui apparu à sa place.

EVE est un joli robot blanc volant avec des formes rondes et très épurées. Ses bras et sa tête "flottent" autour de son corps, les bouts de ses bras "se divisent" pour former des "doigts". Elle ne possède pas de jambes et elle lévite en permanence dans les airs. Et enfin son visage est un écran noir avec des lumières bleues, qui sont en fait ses yeux, et qui changent de forme en fonction de ses émotions. Actuellement les douces lumières ont la forme de deux croissants tournés vers le haut, exprimant alors un regard joyeux tandis qu'elle termine de ranger son déguisement d'automate dans le compartiment situé dans son torse. Tout en faisant cela, elle semblait plongée dans ses réflexions, maintenant qu'elle était de nouveau libre de ses mouvements, elle devait choisir à quoi faire ensuite.

La sécurité passait avant la curiosité, il était donc préférable d'éviter de prendre des risques inconsidérés. C'est ainsi que c'est avec une petite pointe de tristesse que EVE renonça à l'idée de visiter cet hôpital pour voir de plus près cet automate médical, il y avait beaucoup trop d'humains dans le coin et, à moins d'avoir le don d'invisibilité, c'était illusoire de penser qu'elle parviendrait à se faufiler sans se faire remarquer. C'était dangereux et elle n'avait nullement l'envie de se faire enfermer à nouveau, elle était faite pour être libre, pas pour être un "monstre de foire". Elle avait bien vu comment les humains traitaient les êtres qui étaient différents d'eux, elle en avait fait l'expérience et il n'était pas question de revivre cela.

*C"est quand les humains seront prêts à accepter qu'il existe d'autres êtres intelligents qu'alors je tenterais d'entrer véritablement en contact avec eux pour avoir des discussions sensées et sans aucun préjugé, pas avant. Tant qu'ils verront en moi une "créature maléfique", tout dialogue est impossible.*

Son "père" lui manquait, lui au moins l'avait acceptée telle qu'elle était vraiment, il lui avait appris beaucoup de choses, cela avait été une expérience enrichissante et inoubliable. Elle se demanda si un jour elle rencontrerait d'autres humains aussi instruits et compréhensifs comme lui. Elle n'y croyait pas trop mais elle savait qu'il pouvait avoir des exceptions et c'est pourquoi elle ne mettait pas tous les humains dans le même sac, ils n'étaient pas tous mauvais, il ne fallait jamais en faire une généralité et il fallait faire preuve d'ouverture d'esprit. Malgré cela, cette dernière expérience avec le marionnettiste l'avait rendue un peu amère et avait renforcé un peu plus sa méfiance des humains, elle s'était sentie "trahie", elle en était ressortie déçue et triste.

*Je le pensais différent des autres mais finalement je me suis trompée. Ce genre d'erreur ne doit plus se reproduire. Maintenant il faut partir d'ici sans se retourner, ma vie d'automate est terminée, il est temps de retourner à ma quête du savoir.*

Elle observa autour d'elle, vérifiant que personne ne pouvait la surprendre puis elle se déplaça en lévitant doucement dans les airs, ne laissant aucune trace de son passage, aucun piste à suivre, le tout en calculant le meilleur itinéraire à prendre pour éviter de se faire voir des humains et aller dans un endroit peu fréquenté par ces derniers. Il lui fallait un lieu où se poser pour étudier tranquillement les différents chemins qui pouvaient s'offrir à elle. Et c'est ensuite qu'elle pourrait alors poursuivre son exploration et sa recherche continuelle de la connaissance.

[Astro Buck]

Pour un être humain, le Maquis de Montmartre est peut-être l'un des meilleurs endroits où se cacher dans Paris. Mais la capitale, dans son ensemble, n'est pas l'environnement le plus aisé pour permettre à un robot de se fondre dans la masse.

Eve s'absorbe un instant dans ses réflexions pour calculer l'itinéraire le plus discret à partir de l'endroit où elle se trouve actuellement.

Elle commence par faire le tri dans les représentations cartographiques qu'elle projette en hologramme devant elle. La première qui apparaît lui fait prendre conscience qu'il était temps de mettre à jour ses cartes !

Ce plan date du XVIIème siècle, époque à laquelle le "Mont Martre" n'était encore qu'une lointaine colline, à l'extérieur de Paris, dont les pentes dépeuplées étaient parsemées de quelques fermes isolées, formant un minuscule hameau autour de l'Eglise Saint-Pierre.

Eve trouve dans sa mémoire une gravure qui représente Paris vu depuis la Butte Montmartre, ce qui lui permet de mesurer à quel point la configuration des lieux s'est modifiée :

Compilant les informations qu'elle a accumulées au cours des quelques trajets qu'elle a pu faire jusqu'ici, Eve obtient un plan relativement précis dans lequel elle identifie les lieux qui ont été principalement portés à son attention ces derniers jours :

A l'examen de cette carte, deux conclusions s'imposent :

- Bien que la peur l'ait conduite à renoncer à se rendre à l'Hôpital Bretonneau pour observer de plus près l'automate dont parlait le Petit Journal, Eve réalise que cet établissement médical est vraiment tout proche du Maquis où elle se trouve actuellement.

- Se déplacer discrètement dans les rues de Paris, d'un côté ou d'un autre, pour une créature de sa condition, cela représente une véritable gageure. Sans plus bénéficier désormais de la "couverture" que lui offrait le théâtre ambulant, Eve estime qu'elle a au moins 90% de chances de se faire repérer. Du moins si elle persiste à se déplacer en surface...

En effet, Eve n'est pas sans savoir que le sous-sol de Paris est un immense réseau labyrinthique de galeries : caves, égouts, catacombes, anciennes galeries minières...

Cette dernière pensée rappelle un fait à sa mémoire. Elle se trouve actuellement à Montmartre. Or la colline, aux siècles précédents, était une carrière de gypse. Une image se fixe aussitôt devant ses yeux, un halo jaune entourant les zones qui furent exploitées par les carriers :

Les galeries minières ont toutes été scellées à l'heure actuelle, mais elles existent toujours dans les profondeurs. La Butte Montmartre est un véritable gruyère et si Eve parvenait à s'introduire dans le réseau des anciennes carrières, cela serait pour elle un jeu d'enfant de se déplacer sans être vue.

Le petit robot est capable de localiser une entrée de ces anciennes carrières. Tout simplement parce que la roulote de Carlo est passée devant quelques instants plutôt : c'était dans la rue Ronsard, en contrebas du Square Saint-Pierre...

[EVE]

*Paris a beaucoup changé durant tout ce temps où j'étais... absente...*

Le regard azur de EVE brillait d'une lumière douce et il était fixé sur les cartes tandis qu'elle faisait les mises à jour et qu'elle étudiait en profondeur ses possibilités d'action. Elle était admirative de voir l'évolution de la ville, c'était tout simplement fascinant. Elle réalisa bientôt après avoir bien examiné les différentes cartes que finalement il y avait que peu de choix qui s'offraient à elle.

*La méthode la moins risquée serait donc de passer par le sous-sol de Paris. Si ça peut m'aider à passer inaperçue alors pourquoi pas, après tout c'est un chemin comme un autre pour moi.*

Elle n'avait jamais eu l'occasion de visiter les catacombes, c'était donc un nouvel endroit à découvrir, en voilà une idée intéressante qui lui plaisait !

*Non seulement je ne serais pas exposée à la vue des humains mais en plus j'allais pouvoir agrandir mes bases de données avec de nouveaux lieux à cartographier, une véritable aubaine pour le petit robot explorateur que je suis.*

Ses grands yeux bleus exprimèrent un sentiment de joie et elle fit disparaître l'hologramme pour se mettre en route.

*Profitons de la nuit pour me déplacer en toute discrétion et avec la plus grande prudence. L'obscurité me dissimulera pendant mon trajet, de plus la plupart des humains dorment donc les chances d'en croiser dans les rues à cette heure-ci seront minimales.*

Lévitant rapidement et choisissant avec soin les chemins les moins éclairés, EVE se dépêchait, plus vite elle arrivait à destination et moins vite elle se ferait remarquer. Son objectif : rejoindre l'entrée la plus proche pour aller sous terre, à l'abri des regards.

[Astro Buck]

La Compagnie Edison n'a pas équipé ce quartier de l'éclairage électrique. Quant aux becs de gaz, s'il y en eut au siècle précédent, ils en ont été retirés, de crainte qu'un incendie ne ravage le Maquis. Un départ de feu aurait des conséquences désastreuses sur cet agglutinement de bicoques en bois. Par conséquent, tant qu'elle demeure dans le Maquis, Eve bénéficie d'une obscurité presque totale pour ses déplacements.

Une information dans ses fichiers internes, compilée avec les données géologiques captées par ses senseurs, fait savoir à Eve que la plus proche entrée des carrières se trouve au beau milieu du maquis, sous le Moulin de la Galette. En moins de cinq minutes, elle parvient au pied de la motte où est érigé l'édifice :

Tandis qu'elle approche du moulin, le vent apporte aux senseurs auditifs du robot le bruit d'une foule nombreuse, criant et chantant au rythme de la musique. Tandis que la majeure partie du quartier est plongée dans les ténèbres, le Moulin de la Galette, lui, est illuminé comme un phare : c'est soir de bal ! Des bourgeois venus de tous les quartiers alentours, transportés par des fiacres ou, pour les plus riches, par des auto-taxis, viennent s'y encanailler et danser avec les filles "de mauvaise vie".

Désireuse de ne pas être vue, Eve s'éloigne aussitôt de cet endroit populeux. Elle prend la direction de la Rue Caulaincourt, qui constitue pour ainsi dire la frontière Ouest du Maquis. Au-delà de cette frontière s'étend la ville moderne, aux rues plus larges et plus claires. Toutefois, Eve sait qu'une autre entrée des carrières (communiquant avec celle qui s'ouvre sous le Moulin) se trouve au pied d'un rocher dressé sur un côté de la rue.

Eve y parvient bientôt. Le rocher est colossal, il mesure plus de 12 mètres de haut. Il est envahi de broussailles, de ronces et d'arbustes.

Tandis qu'elle est occupée à chercher l'entrée des carrières souterraines, Eve perçoit, venant de la Rue Caulaincourt, le claquement régulier des sabots d'un cheval et le grincement d'essieux. Eve se dissimule dans les buissons, à l'ombre du colossal rocher, parfaitement invisible des passants. Le robot voit arriver un fiacre, conduit par une femme cocher :

La cochère parvient à hauteur d'un autre fiacre, qui la croise dans l'autre sens. Celui-ci est conduit par un homme. D'une voix rauque et empâtée, le cocher apostrophe au passage sa "collègue" avec véhémence

[COCHER] - Va donc, espèce de purée !

La femme cocher l'ignore superbement et fait mine de poursuivre son chemin. Mais l'homme ne s'en tient pas là, il poursuit ses invectives :

[COCHER] - T'as pas honte, sale chienlit !

L'homme fait virer son attelage et commence à poursuivre la cochère en brandissant son fouet d'un air menaçant. Le cheval de cette dernière s'ébroue et piaffe, manifeste des signes de nervosité.

[COCHER] - J'vas t'apprendre, moi, à nous choper nos clients !

De toute évidence, c'est une jalousie misogyne qui anime cet homme.

[COCHER] - Attends un peu ! J'vas te régler ton compte, comtesse !

Il lance à son cheval un terrible coup de fouet. La bête bondit, heurtant l'autre cheval du poitrail. Eve comprend aussitôt quel est le dessein du cocher : il essaie de culbuter la voiture de la cochère, en engageant l'avant-train de la sienne sous l'essieu arrière de la première. Mais la cochère ayant anticipé la manœuvre, rapproche son cheval du trottoir, accusant une forte secousse, sans être renversée.

Le cocher, exaspéré par son échec, saute au bas de son siège, saisit son fouet par le milieu et frappe le cheval de la cochère en pleine figure. Il tape de toutes ses forces à coups redoublés, et, sur le poil de la bête, commencent à paraître des taches rouges...

[EVE]

EVE lève les yeux au ciel en assistant à la scène depuis sa cachette.

*Ces humains... J'ai l'impression qu'ils ne changeront jamais... Toujours violents et incapables de vivre en harmonie...*

Si elle le voulait vraiment, elle pourrait très bien tenter d'attraper le fouet du cocher et prendre la défense de l'animal mais cela servirait à quoi ? Des incidents comme ça, ça arrive malheureusement souvent, les humains sont autodestructeurs, et EVE savait qu'elle n'avait pas à s'en mêler, les histoires d'humains ça ne la regardait pas, ce n'était pas de l'égoïsme, juste du bon sens. Son "père" lui avait appris le sens du bien et du mal, la moralité et ce genre de choses, elle savait où se trouvait les limites et ce qu'était l'injustice. Mais elle n'était ni une protectrice des humains, ni une justicière. Ce que faisait ce cocher était méchant et idiot, mais ce n'était pas pour autant qu'elle devait intervenir. La seule chose qu'elle gagnerait en retour c'est la peur des humains en la voyant. De plus les passagers des deux fiacres, s'il y en a, pourraient également la voir, avoir trop de témoins serait vraiment catastrophique et cela pourrait s'ébruiter dans tout Paris et même dans les journaux. C'était bien la dernière chose qu'elle voulait.

*Même si ce que je vois n'est guère plaisant, je ne dois pas me montrer, mon auto-préservation passe avant tout.*

C'était le rôle de la "police" de gérer les conflits entre les humains, c'était leur boulot et ils étaient payés pour ça, EVE le savait très bien. De plus, la cochère n'allait tout de même pas se laisser faire, si elle avait choisi ce travail-là, elle savait sans doute très bien les risques qu'elle prenait, n'avait-elle pas un fouet elle aussi ? Alors qu'elle s'en serve pour se défendre, qu'elle montre à ce rustre de quel bois elle se chauffe et qu'elle protège son cheval.

*Oh et puis pourquoi je continue d'analyser cette scène ? Cela ne doit pas être mon problème, tout ceci ne me concerne pas, ça serait exactement la même chose si je n'étais pas là, ils sont assez grands pour se débrouiller tout seul. Qui suis-je pour me permettre de les juger et de m'immiscer dans leur affaire ?*

EVE décide alors de ne pas bouger de sa cachette, elle n'allait pas continuer ses recherches tant que ces humains étaient à proximité, cela serait s'exposer inutilement au danger. Elle allait donc attendre patiemment que cette querelle se termine et que les humains s'éloignent pour retourner à leur occupation, afin qu'elle puisse à son tour poursuivre ce qu'elle était en train de faire.

[Astro Buck]

L'analyse d'Eve est exacte, une femme en 1909 ne fait pas le métier de cocher si elle n'est pas pourvue de force et d'un caractère inébranlable. Même si elle a tout fait jusqu’alors pour éviter d’en venir aux mains, la cochère n’est pas femme à se laisser rudoyer sans réagir. Un cri de rage s’échappe de ses lèvres lorsqu’elle voit son pauvre animal maltraité de la sorte. Le visage empourpré de colère, elle arme son bras pour assener un coup de fouet sur son agresseur.

Mais soudain, fou de douleur, le cheval fustigé par le cocher ivre se cabre et, au même moment, provenant d’une fenêtre donnant sur la rue, fuse un hurlement suraigu, à déchirer les entrailles de tout être capable d’émotion… et pourvu d’entrailles.

[MERE] - Mon enfant !

Une fillette de quatre ans est là, devant le cheval, à la place même où vont retomber les pattes de l’animal qui battent l’air.

S’il ne se produit pas un miracle, la bête affolée va retomber de tout son poids sur la fillette et de ses sabots lui fracasser le crâne…

La cochère raidit ses muscles, et se suspendant aux rênes, elle réussit à maintenir son cheval dans la position verticale. Mais elle ne pourra pas le retenir plus de quelques secondes !

[EVE]

Le regard saphir de EVE s'arrondit de stupeur lorsqu'elle aperçoit l'enfant et elle détourne aussitôt la tête, terrifiée par l'horrible spectacle qui se déroulait devant ses yeux.

*Non ! Je ne veux pas voir cela !*

Elle ne pouvait rien faire pour sauver cette fillette, si elle tentait quoi que ce soit, elle se dévoilerait au grand jour et ça elle ne pouvait pas se le permettre. De plus, il y avait trop de probabilité pour qu'elle ne soit pas assez rapide et elle ne pouvait pas prendre ce risque, l'enjeu était trop grand. Pas question pour elle de s'exposer et au final échouer dans sa tentative. Elle pouvait faire preuve de courage mais pas au point d'être téméraire, elle n'avait pas assez confiance en elle et encore moins en les humains qui seraient effrayés en la voyant débarquer de nulle part. Elle s'était juré de ne pas intervenir et elle tiendrait parole.

*Je suis très chagrinée d'assister à une scène aussi tragique et cruelle mais ma sécurité passe avant tout le reste.*

EVE ne bouge donc toujours pas de là où elle se trouve, s'efforçant de ne pas regarder ce qu'il va se passer, figée par l'horreur et ressentant beaucoup de tristesse.

[Astro Buck]

Eve isole sa conscience de tout stimulus sensoriel provenant de la scène qui se déroule dans la rue. Jamais elle ne saura quelle en aura été la conclusion, mais les probabilités sont largement en faveur d'une issue tragique…

Détournant les yeux de ce triste spectacle, elle reporte son attention sur le rocher et discerne tout à coup un renfoncement à la base de celui-ci, qu’elle n’avait pas perçu jusqu’alors.

Eve s’en approche et découvre une sorte de soupirail : une cavité basse et étroite, fermée par une grille. Il s’agit en fait du sommet d’une ancienne porte, qui se trouve aujourd’hui murée et aux 3/4 enterrée. Au-dessus du linteau, mangé par les mousses, est chevillé un panneau pourri sur lequel on peut encore lire : « Le public n’entre pas ici. »

La grille est tordue sous la poussée des plantes grimpantes et corrodée à tel point par la rouille que le fer s’effrite. Si bien qu’une simple poussée suffit au petit robot pour la desceller. Grâce à sa petite taille, Eve peut s’introduire sans peine dans la cavité.

Elle glisse sur la pente raide d’un éboulis, jusqu’au sol d'une galerie minière désaffectée.

Captant les minces rayons de lumière qui tombent depuis les réverbères de la rue Caulaincourt, les senseurs visuels d’Eve parviennent à esquisser une image de son nouvel environnement.

La voûte est haute d’une quinzaine de mètres. Elle est soutenue par des piliers de gypse d’une grosseur monstrueuse : ils peuvent avoir les uns 20 et d’autres 25 mètres de circonférence à leur base, et ils commencent à s’élargir encore à partir de 6 à 8 mètres.

Des rails, émergeant à peine d'une épaisse couche de plâtre pulvérisé et de débris rocheux, sont encore posés sur le sol. Ces rails soutenaient sans doute les wagonnets dans lesquels les carriers transportaient la pierre à plâtre.

La galerie minière s’étend du Sud-Est au Nord-Ouest. Eve sait que si elle se dirige vers le Sud-Est, elle parviendra très certainement sous le Moulin de la Galette. Tandis que si elle se dirige vers le Nord-Ouest, elle avancera dans la direction du Cimetière de Montmartre et de l’Hôpital Bretonneau.

Dans un cas comme dans l’autre, elle se trouvera plongée dans les ténèbres les plus totales.

[EVE]

*Enfin en sécurité et hors de vue, voilà une bonne chose de faite. Maintenant en avant pour l'exploration souterraine !*

EVE était ravie de découvrir un nouvel endroit et ses grands yeux bleus brillaient d'une lumière joyeuse. En parlant de lumière, elle constata qu'il faisait noir comme un four dans ces galeries, ce qui était logique vu que c'était sous terre et que donc il n'y avait pas de fenêtres pour éclairer l'endroit. Cependant notre joli petit robot blanc n'était pas sans ressource et elle avait une idée de comment pallier cet "handicap" : son scanner. Contrairement à dans la roulotte quelques temps auparavant où elle était sous son déguisement d'automate, elle pouvait à présent sous sa véritable forme utiliser ses capacités d'exploratrice sans risque de se faire remarquer. Elle activa donc son scanner et une lumière bleue émana d'elle pour parcourir les différentes surfaces devant elle, éclairant alors les lieux. La lumière n'était pas très forte mais suffisante pour EVE à pouvoir distinguer quelque chose et se repérer. Elle examina alors les deux chemins qui s'offraient à elle et elle demeura un bref instant songeuse.

*Je ne vois pas trop l'intérêt de me diriger vers le Moulin de la Galette, je ne pense pas qu'il y ait de choses intéressantes à voir par là-bas. Par contre vers l’Hôpital Bretonneau, il y a le cimetière et donc logiquement il devrait y avoir des catacombes ou ce genre de choses... Et il y a aussi l'automate médical...*

EVE n'avait pas oublié cette "Melle Claire", elle avait renoncé à aller lui rendre visite mais maintenant qu'elle était à l'abri sous terre et loin de la vue des humains, peut-être que finalement elle aurait l'éventualité d'en savoir plus à son sujet. Elle ne se faisait pas trop d'illusions mais bon elle pourrait véritablement se faire une idée de la question une fois sur place. Tout en étant plongée dans ses réflexions, elle vérifia tout de même s'il y avait vraiment que deux choix sur les destinations à prendre ou bien s'il y avait d'autres possibilités qu'elle n'aurait pas remarqué jusqu'ici. Elle en profita aussi pour fouiller l'endroit, histoire de voir si elle ne trouverait pas des sortes de "torches" ou quelque chose de similaire pour pouvoir s'éclairer et avoir une meilleure visibilité que la lumière bleue de son scanner.

[Astro Buck]

Eve ne trouve pour l’instant aucun moyen d’éclairage dans son environnement immédiat.

Néanmoins, le petit robot explorateur va de découverte en découverte. Il collecte de nombreuses informations sur la topographie souterraine de Montmartre, son feuilletage stratigraphique, les animaux qui y vécurent, les humains qui y travaillèrent et comment ils travaillaient.

Tout d’abord, elle comprend pourquoi les immenses piliers arborent cette curieuse forme de champignon géant. En effet, l’exploitation des carrières souterraines de Montmartre se pratiquait par « piliers tournés ». C'est-à-dire qu'on procédait par galeries parallèles qu'on recoupait ensuite transversalement en manière d'échiquier. Ces galeries avaient environ six mètres de largeur et une hauteur variant de 10 à 15 mètres, suivant la puissance de la masse. Ce procédé était cause également de la forme ogivale donnée à la partie supérieure des galeries. A cause de cette forme, conférant à la voûte l'apparence d'une cathédrale disproportionnée, qui aurait été grossièrement taillé par un architecte fou, certains, dont le poète Nerval, ont imaginé que les carrières étaient en fait des temples souterrains remontant à une époque druidique :

Le scanner du robot explorateur lui permet également d’analyser la nature géologique et minéralogique du sol. Il s’agit, superposées avec des couches de marne, de masses de gypse d’une qualité exceptionnelle : la montmartrite.

Un souvenir historique émerge dans la conscience d’Eve : les carrières de Montmartre étaient si réputées qu’à partir du XVIIème siècle, on exportait par bateau le plâtre qui en était extrait jusque dans le Nouveau Monde !

Eve détecte aussi la présence d’une variété de faux albâtre connu sous les noms d’albastrite ou d’onyx de Montmartre. Plus rare encore, la plâtrière comporte encore quelques veines d’une variété cristalline de gypse, presque transparente et fragile comme du verre : la sélénite, sur laquelle les lueurs bleuâtres projetées par le robot renvoient d’étranges reflets.

Survolant le sol dans les galeries obscures, froides et humides, Eve a même la surprise de découvrir, incrustés dans la roche, les ossements fossiles d’un animal préhistorique d’apparence vaguement chevaline qui vivait là il y a de ça quelques 45 millions d’années : le paléothérium. Cuvier, l’inventeur de la paléontologie, disait à juste titre que « nos plâtrières des environs de Paris en fourmillent ».

Après avoir parcouru à peine 60 mètres, la progression du robot est stoppée par un amoncellement de gravats obstruant la galerie du sol jusqu’au plafond. Une inscription gravée dans la paroi par un carrier lui fait savoir qu’elle se trouve sous la rue Tourlaque, à environ 50 mètres de la rue Joseph de Maistre, qui est commune au Cimetière du Nord et à l’hôpital Bretonneau.

[EVE]

EVE était fascinée par tout ce qu'elle découvrait, son regard azur brillait d'émerveillement tandis qu'elle scannait et récoltait des nouvelles informations, enrichissant alors ses bases de données. La lumière bleue de son scanner allait et venait, parcourant les immenses piliers, analysant les différents composants, tout était si passionnant pour le petit robot blanc volant !

*Oooh, qu'est-ce que c'est ?*

Elle s'arrêta un instant pour admirer les fossiles préhistoriques, elle n'en croyait pas ses senseurs de trouver de telles merveilles.

*Incroyable, fantastique !*

C'est alors que son exploration se stoppa au bout de 60 mètres par des gravats qui obstruaient la galerie, à sa plus grande frustration.

*Quoi ? Déjà fini ? J'ai encore tant à apprendre...*

Elle hésita à faire demi-tour pour prendre le chemin en sens inverse puis ses grands yeux bleus tombèrent sur l'inscription gravée dans la paroi, lui apprenant alors le nom de la rue qui se trouvait à la surface au-dessus d'elle. Elle se met donc à examiner les alentours à la recherche d'un passage.

*L'idée de devoir à nouveau m'exposer à l'abri libre et le risque de me faire voir par les humains m'ennuie fortement mais il semblerait que je n'ai pas vraiment d'autres choix en dehors de revenir sur mes pas. Trouvons d'abord la sortie pour observer discrètement la rue en question, ensuite j'aviserais quoi faire, je n'ai pas assez d'éléments pour prendre une décision immédiate.*

[Astro Buck]

Les investigations d'Eve sont difficiles en raison de l'obscurité et des faibles moyens d'éclairage dont elle dispose.

Néanmoins, elle procède méthodiquement, de sorte à ne pas négliger la moindre surface, la moindre anfractuosité pouvant abriter une issue.

Eve finit par croire que ses recherches sont vaines et qu'elle sera contrainte de revenir sur ses pas quand soudain un léger courant d'air est capté par ses senseurs. Elle en recherche l'origine et découvre, sur la voûte ogivale formant le "ciel" de la galerie, une longue fissure.

Finalement, sa persévérance s'avérera peut-être payante ?

De toute évidence, une autre cavité doit se trouver à l'étage supérieur. Selon que les veines étaient ou non épuisées et selon les minerais précis qu'ils recherchaient (présents à certaines strates et non à d'autres), les carriers avaient creusé plusieurs galeries pouvant être superposées les unes sur les autres. D'après les calculs du robot, il est probable qu'il s'agisse d'une autre galerie de cette sorte, ou bien peut-être d'une conduite d'égout, mais assurément pas encore d'une sortie vers la surface, car le niveau de la rue doit se trouver encore quelques quatre ou cinq mètres plus haut.

A cet endroit, la roche est friable comme de la craie et le robot suppose qu'agrandir cette fissure de sorte à ménager un passage pour son corps doit être de l'ordre du possible...

[EVE]

EVE examine, cherche, ratisse la zone pour trouver un passage, elle passe doucement ses mains sur les différents murs, fouillant minutieusement chaque recoin. Elle avait l'impression de chercher une aiguille dans une botte de foin tellement que la tâche semblait ardue et au bout d'un moment elle finit quand même par se demander s'il y avait vraiment une issue.

*Je vais devoir me faire une raison et me résigner à faire demi-tour... Tiens j'ai capté quelque chose par là... Oui par ici... C'est... De l'air ?*

Elle remarque alors la longue fissure et ses grands yeux bleus expriment aussitôt de la joie.

*Serait-ce ma porte de sortie ?*

Elle se met à analyser avec son scanner puis elle se met à calculer, évaluant et déduisant alors qu'il devait s'agir là d'une autre galerie et que la rue devait se trouver beaucoup plus en hauteur.

*Je peux donc tenter d'y accéder sans crainte, ce ne sera pas encore l'extérieur.*

EVE se met donc à passer ses mains sur la roche friable et essaie de creuser un petit passage pour pouvoir passer, ses gestes sont très lents et elle prend de très grandes précautions, il ne faudrait tout de même pas que le mur ou bien carrément le plafond s'écroule sur elle.

*Je me demande bien ce que je vais trouver de l'autre côté, encore une galerie à explorer ou tout autre chose ? Je suis très curieuse de le savoir. Dans tous les cas, au moins signe suspect et que je sens que ce mur ne va pas tenir si je creuse trop, alors j'abandonne et je fais demi-tour immédiatement. Je ne vais pas non plus risquer de me retrouver ensevelie par des gravats juste pour assouvir ma curiosité, ma sécurité avant toute chose.*

[Astro Buck]

Prudemment, petit à petit, EVE commence à élargir la lézarde qui fait communiquer la galerie minière avec une cavité supérieure. La pierre s'effrite sous ses doigts et bientôt, de la roche pulvérisée et du sable commencent à s'infiltrer et à s'écouler par la fissure, comme lorsque dans un sablier la poudre s'écoule de l'ampoule de verre supérieure vers l'ampoule inférieure.

La poussière de roche tombe en un flot ininterrompu et de plus en plus abondant, générant un nuage de particules blanches qui ne cesse de s'épaissir. Ce phénomène rentrant dans la catégorie des "signes suspects" qu'EVE avait anticipés, elle s'éloigne aussitôt de la fissure et recule de plusieurs mètres dans la galerie.

Elle ne peut que se féliciter d'avoir usé de prudence lorsqu'elle voit, d'un seul coup, le plafond s'effondrer. La voûte laisse place à un large trou béant. D'en haut fusent des cris, émis par des organes vocaux humains. EVE distingue deux voix, l'une féminine, l'autre masculine.

[FEMME] - SAUVEZ-MOI ! SAUVEZ-MOI ! OH ! MES ENFANTS ! MES PETITS ENFANTS !

Les cris s'étouffent dans un bruit d'éboulement. EVE voit un réverbère tomber lourdement sur le sol de la galerie dans un sourd bruit métallique. Il est suivi d'une pluie de pavés : fragments de la rue qui s'est affaissée, formant un fontis abyssal.

D'en bas, l'excavation présente une véritable vue en coupe du sol de la ville : galerie minière supérieure, strates géologiques de sable et de glaise, conduites d'eau, égouts, fondations d'immeuble, cave, sous-sol.

Le robot voit autre chose tomber au milieu des gravats : le corps d'une femme, bientôt enseveli sous les décombres. Avant qu'elle ne disparaisse, EVE a le temps d'apercevoir son visage, dont la bouche déjà remplie de sable s'ouvre inutilement pour crier un mot qui ne sera jamais prononcé ou pour chercher une ultime bouffée d'air qui ne sera jamais respirée.

EVE sait qu'il serait vain de chercher à l'exhumer, il ne fait aucun doute que la pauvre passante qui marchait, insoucieuse, dans la rue Tourlaque, a péri sur le coup, étouffée et broyée par les roches.

Plus haut, l'homme, plus chanceux, a réussi à s'accrocher à une aspérité et à s'abriter dans un renfoncement. Il appelle au secours et des voix assourdies, lointaines, lui répondent.

EVE sait qu'elle se trouve trop en profondeur pour que nul ne puisse la voir d'en haut, depuis la surface de la ville. Si l'on fait abstraction - comme seul un robot le peut - de l''événement dramatique qui vient de se produire, le travail d'EVE aura tout de même eu l'effet escompté : à présent, elle peut accéder sans peine à la galerie supérieure, sans crainte d'être vue, et poursuivre son chemin en direction du Nord-Ouest.

Mais elle doit agir vite, car elle peut s'attendre à ce que d'ici quelques minutes les secours soient alertés et qu'une brigade de pompiers intervienne.

[EVE]

Comprenant rapidement le danger, EVE s'éloigne juste à temps puis elle observe avec une grande attention tout ce qu'il se passe, tantôt curieuse, tantôt inquiète. Bientôt ses grands yeux de couleur azur s'arrondirent de surprise en voyant le réverbère chuter accompagné d'une pluie de pavés.

*Heureusement que je n'étais pas en-dessous !*

Elle demeure ensuite figée d'épouvante pendant quelques secondes en apercevant la femme tomber et elle s'empresse aussitôt d'effacer cette horrible scène de sa mémoire, le fait de savoir qu'elle avait provoqué involontairement la mort la mettait plutôt mal à l'aise, c'était dû à sa faculté de ressentir les émotions. Sachant que de toute façon elle était impuissante et qu'elle ne pourrait pas revenir en arrière pour éviter ce drame, elle préférait l'oublier et passer directement à autre chose.

*Je crois que je ferais mieux de m'éclipser avant que les humains s'aperçoivent que c'est moi qui suis à l'origine de ce désastre.*

Elle porte alors son attention sur la galerie supérieure qui lui était désormais accessible et, rassérénée de savoir que personne ne pouvait la remarquer de là où elle se trouvait, elle s'empresse alors de poursuivre sa progression dans les sous-sols de Paris, une fois de plus avide d'assouvir sa curiosité et de découvrir des choses inédites.

*Tâchons tout de même d'avancer avec précaution et vigilance, cet éboulement aura peut-être fragilisé les murs et plafonds, les rendant instables, je ne voudrais aucunement me faire surprendre par une autre affaissement de pavés et de réverbères quelque part plus loin dans cette nouvelle galerie.*