TRAINING - EVE

[Astro Buck]

Krr’karkrrrkr se hisse à la suite d'EVE dans le local aseptisé. Il se cache sous la table d'opération et se tient immobile, ses vibrisses seules s'agitant constamment, comme de petites antennes.

L'espace de ce pavillon a été pensé avec un grand sens pratique et tout y est rangé avec un soin méticuleux et un ordre logique... enfin, autant que les Humains en sont capables. Si bien que cela ne pose pas la moindre difficulté à EVE de s'y orienter et de trouver, dans la vitrine à instruments, ainsi que dans celle à médicaments, tout le nécessaire.

Oui, mais voilà... A travers les vitrines, EVE voit tout ce dont elle a besoin mais quand à y accéder, c'est une autre affaire car ces placards sont fermés à clef. Encore une affligeante manie des Humains, ça, de toujours tout fermer à clef, et qui témoigne de la confiance qu'ils se portent mutuellement les uns aux autres...

Focalisée sur ses recherches, EVE ne s'est pas rendue compte qu'elle est observée par deux yeux ronds. Etrangement, Krr’karkrrrkr n'a rien remarqué lui non plus. Peut-être parce que ces deux yeux viennent de... s'allumer. C'est alors qu'EVE voit à moins d'un mètre d'elle, adossé à un mur, un androïde métallique.

Une voix s'élève, semblant provenir du fond d'une boîte de conserve, et s'exprimant avec un débit coupé au hachoir :

[Mlle CLAIRE] - JE-SUIS MA-DE-MOI-SELLE CLAI-RE POUR VOUS SER-VIR. QUE - CHER -CHEZ -VOUS -I- CI ?

EVE comprend aussitôt qu'il s'agit de l'infirmière-automate dont parlait ce journal qui l'avait tant intriguée. Elle réalise aussi que l'illustration était quelque peu mensongère puisque, autant qu'elle s'en souvienne, l'automate aurait dû ressembler à ça :

Alors que l'être qui se tient actuellement en face d'EVE a cette apparence :

[EVE]

EVE parvient à localiser tout ce qu'elle avait besoin et lâche bientôt un petit bourdonnement au ton frustré lorsqu'elle s'aperçoit que les vitrines où se trouvent les objets sont fermées à clé.

*C'est quoi cette manie qu'ont ces humains à tout verrouiller tout le temps comme ça ? Comment vais-je faire moi maintenant pour récupérer... Qu'est-ce que c'est que ça ? Oh !*

Ses pensées sont brutalement interrompues et elle a un léger mouvement de recul en remarquant l'automate. Ses grands yeux bleus s'arrondirent ensuite de surprise en l'entendant parler.

*Melle Claire ? L'automate du journal ? Il ne ressemble pas du tout à l'illustration !*

EVE se met à étudier durant quelques secondes l'être métallique qui se trouvait en face d'elle, l'observant attentivement, avant de répondre dans un doux murmure :

[EVE] - Je cherche à accéder au contenu des vitrines, en particulier aux matériaux nécessaires pour lutter contre un empoisonnement.

Plein de questions se bousculaient dans la tête du robot blanc volant et elle fit l'effort de se refréner, elle se demandait notamment si l'automate infirmière était dotée d'une conscience ou si elle ne faisait que suivre un programme pré-établi.

[EVE] - Je voudrais récupérer ce qu'il y a dans cette vitrine (Poursuivit-elle toujours dans un doux murmure et en désignant la vitrine à instruments.) et dans celle-ci. (En désignant ensuite celle à médicaments.) Pouvez-vous m'aider et sans faire de bruit ? Je ne désire pas entrer en contact avec les humains.

Tout en disant ces derniers mots, EVE espérait que Krr’karkrrrkr n'allait pas paniquer et fuir face à l'intervention soudaine de l'automate, mais aussi et surtout que la voix mécanique n'allait pas attirer l'attention des humains qui se trouvaient dans la pièce d'à côté...

[Astro Buck]

Tous les poils de Krr’karkrrrkr se sont hérissés, on le croirait couvert de crins de balais ébouriffés. Il tourne sur lui-même, le museau tendu tour à tour dans de multiples directions, comme si ses sens étaient perturbés depuis que l’automate s’est mis en marche.

L’infirmière métallique est toujours immobile, à l’exception de ses yeux, où brille une pâle lueur rougeâtre et dont le mécanisme ressemble beaucoup à l’objectif d’un appareil photographique. Après avoir émis divers grésillements d’ondes radio ainsi que des grincements de rouages internes mal lubrifiés, l’automate répond à EVE :

[Mlle CLAIRE] – LA - CLEF - DES- VI - TRI- NES EST SOUS MON TA-BLI-ER JE NE PEUX PAS L’A-TTRA-PER. POUR RÉ-GLER MA VOIX : BOU-TON DU VO-LU-ME DANS MON DOS.

Brusquement, l’Homme-Taupe, au comble de l’agitation nerveuse, se rapproche de l’automate et lève ses deux énormes pattes griffues dans un geste menaçant. Il tourne son museau vers EVE.

[KRR'KARKRRRKR] - Krr’karkrrrkr détruire ça ? Ça trop de bruit.

[EVE]

Avec des gestes d'une très grande douceur et en émettant un ronronnement au ton apaisant, EVE se place entre Krr’karkrrrkr et l'automate, le tout en disant dans un murmure très doux :

[EVE] - Rester calme. Ça être amie de métal comme EVE. Ça ne plus faire de bruit, EVE s'en occuper. Krr’karkrrrkr continuer surveiller, humains vrai danger, pas amie de métal. Amie de métal va aider EVE pour obtenir objets qui va sauver Xixxxir'xi, d'accord ?

Le regard azur du robot blanc va ensuite se fixer sur l'infirmière métallique et elle ajoute, toujours d'une voix très douce :

[EVE] - Pardonnez Krr’karkrrrkr, il est très nerveux, il ne vous fera aucun mal si vous ne faites plus de bruit, les humains risquent de nous entendre et nous ne voulons pas les côtoyer, vous comprenez ? Ne répondez pas, je vais d'abord baisser le volume de votre voix...

EVE s'approche alors de l'automate pour chercher et régler le bouton situé dans son dos. Une fois ceci fait, elle se met à chercher la clé des vitrines sous le tablier de l'être de métal dans le but de la récupérer et elle dit doucement :

[EVE] - Vous devez sans doute vous poser des questions, tout comme moi. Je tâcherais de répondre au mieux à toutes vos interrogations mais permettez-moi d'abord de vous demander ceci : êtes-vous consciente, Melle Claire ?

[Astro Buck]

Krr’karkrrrkr accède à contrecœur à la demande du petit robot blanc et s’en retourne monter la garde devant la porte qui sépare le local du dortoir.

Lorsqu’elle se glisse dans le dos de Mlle Claire, EVE identifie rapidement le potentiomètre du volume parmi quantité d’autres petites manettes et boutons poussoirs. Le plus surprenant, sans doute, est que l’automate-infirmière est reliée au mur par une sorte de câble ou conduit tubulaire souple, fiché dans son abdomen comme un cordon ombilical. Lorsqu’elle se déplace – si elle se déplace – encordée de la sorte, son champ d’action doit être limité à un demi-cercle de 3 ou 4 mètres de rayon.

Sous le tablier de l’automate, EVE trouve un trousseau de clés. Mais celui-ci est relié par une solide chaîne d’une trentaine de centimètres à un anneau vissé et boulonné directement dans le sternum. Le seul moyen d’utiliser ces clés – sauf à disposer d’une pince-monseigneur pour briser la chaîne – est que Mlle Claire se tienne suffisamment proche de la serrure à ouvrir.

[Mlle CLAIRE] – CON-SCIEN-TE ? D'A-PRES MES CON-NAIS-SAN-CES LA CON-SCIEN-CE EST IM-POS-SIB-LE SANS VIE OR-GA-NI-QUE. JE NE SUIS PAS EN SOM-MEIL, SI C'EST LA VO-TRE QUES-TION. AT-TEN-TION. L’A-NI-MAL QUI VOUS AC-COM-PAGNE RE-PAND DES GER-MES DANS LA SAL-LE D’O-PE-RA-TION. MER-CI DE BIEN-VOU-LOIR L’E-VA-CU-ER.

La petite infirmière de métal se met à vibrer légèrement. Puis elle s’avance doucement en direction des vitrines. EVE constate alors que ses membres postérieurs ont surtout une fonction esthétique car ils ne sont pas articulés. L'automate a pour mode de locomotion de petites roulettes soudées sous son socle rond. Ces roulettes grincent si horriblement que Krr’karkrrrkr se cache les oreilles en gémissant.

[Mlle CLAIRE] – POUR-QUOI EVI-TEZ-VOUS LES HU-MAINS ? N’A-VEZ-VOUS PAS ETE CON-ÇUE COM-ME MOI PAR LE DOC-TEUR HER-DNER ?

[EVE]

EVE est très intriguée par la technologie de l'automate, une technologie plutôt rudimentaire par rapport à la sienne, et elle l'observe avec une très grande curiosité. Elle ressent ensuite une pointe de frustration en s'apercevant que les clés étaient reliées à une chaîne.

*Ces humains sont d'une paranoïa extrême, cela en devient vraiment agaçant... Pas le temps de chercher une pince pour briser cette chaîne, il va falloir que Melle Claire se déplace si je veux accéder au contenu des vitrines...*

Le petit robot blanc écoute avec attention la réponse de l'infirmière métallique et analyse ainsi les propos. Après quelques secondes de réflexion, elle dit doucement :

[EVE] - La conscience est le fait de percevoir sa propre existence et celle du monde qui nous entoure, c'est aussi le fait de ressentir des émotions, des sentiments, de se rendre compte de nos actes, le fait d'avoir des sensations et des intuitions, le fait de penser par nous-même et de réfléchir. C'est difficile à vraiment définir quelque chose de si complexe.

EVE regarde attentivement Melle Claire tandis que cette dernière commence à se déplacer et elle poursuit, toujours d'une voix douce et posée :

[EVE] - Je ne suis pas un être organique et pourtant je suis consciente, je ressens des choses, je perçois la beauté de la nature et je suis capable de raisonner. Je suis un être de métal et pourtant je suis également un être sensible, avide d'apprendre et d'agrandir mes connaissances. Ce qui prouve que la conscience n'est pas réservée qu'à la vie biologique.

EVE écoute ensuite les questions de son interlocutrice et elle répond dans un doux murmure :

[EVE] - Je ne connais pas le docteur Herdner, je ne l'ai jamais rencontré. Bien que nous sommes, vous et moi, des êtres de métal, notre technologie n'est pas identique. J'évite les humains car ils ont peur de moi, ils ont peur de ce qu'ils ne comprennent pas, ils ont peur de l'être de métal que je suis, un être qui soit capable de penser et de ressentir mais qui ne soit pas humain comme eux...

[Astro Buck]

Comme frappée par les propos prononcés par EVE, Mlle Claire s’immobilise à mi-chemin de sa destination. Elle pivote sur elle-même pour scruter de ses yeux ronds et protubérants le petit robot blanc.

[Mlle CLAIRE] - JE PER-ÇOIS LE MON-DE. CE-PEN-DANT, JE NE CROIS PAS Ȇ-TRE CA-PA-BLE DE SEN-TI-MENT. JE CON-NAIS MES COM-PO-SANTS, CE-LA VEUT-IL DIRE QUE J’AI CONS-CIEN-CE DE MOI ? MA BOI-TE CE-PHA-LI-QUE A-BRI-TE UN CY-LIN-DRE D’OR IN-CRUS-TÉ AU MI-CRO-ME-TRE. IL EST RE-LI-É PAR DES IN-DUC-TEURS A UN MO-TEUR E-LEC-TRO-MA-GNE-TI-QUE SI-TU-É DE L’AU-TRE CÔ-TÉ DE CETTE PA-ROI QUI IN-JE-CTE DANS MES OR-GA-NES AR-TI-FI-CIELS CE QUE LE DR HER-DNER AP-PEL-LE L’A-GENT VI-TAL OU E-LEC-TRI-CI-TÉ. SOUS L’EF-FET DE CE FLUI-DE, LE CY-LIN-DRE SE MET EN RO-TA-TION ET GÉ-NÈ-RE UNE AC-TI-VI-TÉ É-LEC-TRO-CHI-MI-QUE COM-PA-RA-BLE Á CEL-LE D’UN CER-VEAU HU-MAIN A L’É-TAT DE VEIL-LE. EST-CE DE LA PEN-SÉE ?

Pendant ce long discours, l’Homme-Taupe n’a cessé de tourner la tête de droite et de gauche, avec une vive inquiétude, regardant tour à tour les deux créatures mécaniques et la porte du dortoir. Le bavardage incessant de Mlle Claire n’a fait qu’augmenter sa nervosité. Il lui lance un œil méfiant qu’il ponctue de crachotements menaçants.

Couinant et stridulant sur ses petites roulettes, l’automate reprend sa lente progression tandis que se déroule le câble qui le relie au mur.

[Mlle CLAIRE] - MA PEN-SÉE, SI C’EN EST U-NE, DOIT ȆT-RE DÉ-FI-CIEN-TE CAR JE NE PAR-VIENS PAS Á RÉ-SOU-DRE LE PRO-BLÈ-ME SUI-VANT : POUR-QUOI MON CORPS EST-IL D’U-NE MÉ-CA-NI-QUE SI RU-DI-MEN-TAI-RE A-LORS QUE LE CY-LIN-DRE QUI ME TIENT LIEU DE CER-VEAU EST D’UN DE-GRÉ DE PER-FEC-TION-NE-MENT QUI, MA-NI-FES-TE-MENT, OU-TRE-PAS-SE TRÈS LAR-GE-MENT LE NI-VEAU TECH-NO-LO-GI-QUE DE L’AN MILLE NEUF CENT DOU-ZE ?

Mlle Claire est à présent suffisamment proche de la vitrine des médicaments pour que la clef puisse être utilisée.

Mais tout à coup Krr’karkrrrkr surgit au côté d’EVE.

[KRR’KARKRRRKR] – Trop de bruit ici ! Humain garde-petit entendu bruit. Lui pas venir, peureux. Mais garde-petit lancé appel à garde-terrier. Garder-terrier bientôt arriver. Avec arme. Nous partir.

[EVE]

EVE écoute avec une grande attention les propos de Melle Claire et elle est plutôt surprise par ce qu'elle apprend.

*Un cylindre d'or d'une technologie supérieure ? Comment est-ce possible ?*

Absorbée par les révélations de l'infirmière métallique, elle ne fait pas vraiment attention aux réactions de Krr’karkrrrkr et elle manque de sursauter lorsque soudain il bondit à ses côtés pour l'avertir qu'il y avait eu de trop de bruit, la prévenant alors qu'ils allaient bientôt avoir de la visite. Une lueur d'inquiétude se met à briller dans les grands yeux bleus du robot blanc et elle se tourne vers l'automate.

[EVE] - Si vous vous posez des questions à votre sujet alors oui vous êtes consciente, cela ne fait aucun doute. La meilleure façon d'avoir les réponses serait d'interroger directement votre concepteur, le docteur Herdner.

EVE attrape vivement la clé pour tenter d'ouvrir la vitrine des médicaments qui était à proximité et récupérer ce qu'elle avait besoin à l'intérieur.

[EVE] - Le temps presse, Melle Claire, un humain va arriver d'un instant à l'autre et il va sûrement se demander pourquoi vous vous êtes déplacée dans la pièce. Nous ne voulons pas vous attirer des ennuis, vous allez devoir mentir pour vous protéger et cacher notre existence. Savez-vous faire cela ?

Elle regarde ensuite l'Homme-Taupe et elle demande d'une voix douce :

[EVE] - Avoir le temps pour utiliser encore clé ou trop tard ? Sinon Krr’karkrrrkr briser placard là-bas avec ses griffes (Elle désigne la vitrine à instruments.) et tout voler dedans, objets importants pour sauver Xixxxir'xi...

[Astro Buck]

En guise de réponse, Krr’karkrrrkr fracasse la vitre et s’empare au hasard d’une brassée d’instruments.

[Mlle CLAIRE] – NON JE NE SAIS PAS MEN-TIR.

De ses yeux inexpressifs, Mlle Claire regarde l’Homme-Taupe qui court déjà vers la trappe. Il perd en chemin une paire de ventouses en verre qui volent en éclat sur le sol, ainsi qu'une scie d’amputation, une guillotine à amygdales et un bistouri qui font en tombant un bruit de ferraille à réveiller les morts.

[Mlle CLAIRE] – LA PRO-CHAI-NE FOIS QUE VOUS VE-NEZ, MER-CI DE LAIS-SER VO-TRE A-NI-MAL DE-HORS.

Cette fois, nul besoin d’avoir l’acuité auditive et l’hypersensibilité aux ondes vibratoires de Krr’karkrrrkr pour percevoir les cris de panique qui fusent dans le dortoir attenant aux salles de chirurgie.

Soudain, dominant le brouhaha, une voix masculine rugit, suivie d’un claquement de botte énergique sur le plancher, qui s’amplifie rapidement. Quelque peu étouffés par la distance et le panneau de la porte, EVE peut néanmoins entendre distinctement ces quelques mots :

[HUMAIN] – Gare à toi voleur de pommes ! Cette fois tu ne m’échapperas pas !

[EVE]

Voyant la réaction de l'Homme-Taupe à ses derniers propos, EVE comprend tout de suite que le temps n'était plus à la discussion mais à l'action, elle ne se fait donc pas prier pour foncer à son tour en direction de la trappe. Elle jette tout de même un regard en arrière et lance à l'attention de l'automate :

[EVE] - Ça aura été un plaisir de faire votre connaissance, Melle Claire, cette rencontre aura été très enrichissante, peut-être aurions-nous l'occasion de nous revoir un jour...

*Mais j'en doute fort malheureusement...* Pensa-t-elle tristement tout en se dépêchant de regagner la trappe pour fuir l'endroit avant que les humains entrent dans la pièce et l'aperçoivent.

Les propos de l'infirmière métallique avaient beaucoup intrigué EVE et elle avait à présent de nouvelles questions qui lui traversaient l'esprit. Existait-il d'autres automates similaires à Melle Claire ? Qui était donc ce docteur Herdner ? Les interrogations de l'automate avaient aussi le mérite de faire plonger le robot blanc aux yeux bleus dans de profondes réflexions.

*Je dois chasser ces pensées pour l'instant et me concentrer sur le sauvetage de Xixxxir'xi, j'espère que Krr’karkrrrkr a récupéré dans la vitrine tout le matériel qu'il faut...*

[Astro Buck]

EVE, avec la fluidité aérienne qui caractérise ses mouvements, se glisse gracieusement dans le trou à la suite de Krr’karkrrrkr. A peine retombe-t-elle sur ses sustentateurs qu’elle entend au-dessus d’elle une porte s’ouvrir avec fracas. La même voix, dont EVE avait perçu quelques secondes plus tôt les mots assourdis, s’élève avec force.

C’est un humain de sexe mâle. Il crie fort, trop fort : sans doute un subterfuge psychologique pour conjurer sa peur. Cette peur, EVE la devine dans d’imperceptibles tremblements, d’infimes trémolos qui n’échappent pas à l’hyperacuité de ses senseurs.

[HUMAIN] – Qui que tu sois, mets tes sales paluches en l’air ou je tire !

Un grincement pathétique de mécanique mal huilée lui répond. Ce doit être Mlle Claire qui vient de lever ses maigres bras métalliques.

[HUMAIN] – Mais… C’est cette sal’té de machine du diable ! C’est pas ma pétoire qu’j’aurais dû prendre, mais ma boîte à outils… Ah ouais, bonne idée, ça. Bougez-pas. J’vas chercher mes outils et te désosser tout ça bien comme y faut. Quand j’en aurai fini, y aura plus qu’un ferrailleur pour y trouver son bonheur. Ah ouais !

Par chance, l’homme ne semble pas avoir remarqué le trou béant laissé au sol par le déchaussement de la dalle amovible. EVE entend le gardien de nuit – telle est du moins l’hypothèse la plus probable quant à sa fonction – repartir, sans doute pour mettre son projet à exécution. Cela représente pour les deux fugitifs un gain de temps considérable. Ils pourront rapidement rejoindre la pauvre Xixxxir'xi.

[EVE]

EVE était légèrement peinée de savoir ce qui allait arriver à l'automate, malheureusement elle ne pouvait rien faire pour l'aider et, ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, elle avait promis à Krr’karkrrrkr de soigner sa compagne, le temps de Xixxxir'xi était compté, il fallait la rejoindre au plus vite. Deuxièmement, Melle Claire était liée à un câble au mur donc impossible de la faire s'enfuir, de plus son moyen de locomotion était beaucoup trop lent. Et enfin troisièmement, sa sécurité passait avant tout le reste, elle n'irait pas s'exposer au danger, même pour aller sauver quelqu'un, que ça soit un être organique ou synthétique.

*C'est regrettable mais c'est ainsi, on ne peut pas changer le cours des choses...*

Le robot blanc aux yeux bleus, bien qu'un peu triste de réaliser qu'elle n'aurait plus d'occasions d'avoir d'autres conversations avec l'infirmière de métal, ni de réponses à certaines de ses questions, détourna alors son attention de la trappe et, sans un regard de plus en arrière, prit le chemin de retour à la suite de l'Homme-Taupe.

*Cette discussion avec Melle Claire, bien qu'elle fut trop courte, aura été instructive, je ne l'oublierais jamais...*

[Astro Buck]

EVE a tôt fait de rattraper Krr’karkrrrkr. Elle peut se féliciter de ne pas avoir de pieds, car si elle en avait eu, avec tous les objets piquants et tranchants que l’Homme-Taupe sème derrière lui, ses pieds seraient en sang à l’heure qu’il est.

Dès qu’ils se sont suffisamment éloignés des sous-sols de l’hôpital, Krr’karkrrrkr s’arrête pour refaire cet étonnant numéro de claquettes qu’EVE lui avait déjà vu faire une fois. Le robot se souvient que c’est par ce moyen que les Hommes-Taupes, sensibles aux vibrations du sol, communiquent entre eux à distance.

Au terme de ces gesticulations, Krr’karkrrrkr semble satisfait et poursuit son cheminement sinueux.

Quelques instants plus tard, les deux compagnons se glissent enfin à l’intérieur du terrier improvisé. EVE ne voit autour d’elle nulle trace de Xixxxir'xi. A croire que celle-ci a disparu. Krr’karkrrrkr quant à lui regarde muettement le petit robot. Difficile de deviner quelles pourraient bien être en ce moment ses pensées et ses émotions, car sa face est inexpressive et EVE n’a pas encore passé assez de temps auprès de cette espèce pour être à même de déchiffrer tous les codes de son langage infra-verbal.

Tout à coup, le petit robot voit le sol remuer sous elle, comme si un effondrement de terrain très localisé était en train de se produire, le sable s’écoulant comme au fond d’un entonnoir. Puis un monticule de terre s’élève au milieu, qui finit par se crever pour laisser apparaître Xixxxir'xi.

Krr’karkrrrkr l'aide à se hisser hors du trou, car Xixxxir'xi, affaiblie par l'empoisonnement dont elle souffre, est épuisée par l'effort qu'elle a dû fournir. Elle s’était pour ainsi dire inhumée vive, enfouie totalement, mais dans quel but ? La créature maladive s’en explique à Krr’karkrrrkr qui traduit aussitôt ses propos pour EVE :

[KRR’KARKRRRKR] - Xixxxir'xi peur. Xixxxir'xi entendu humains pas loin. Humains chercher quelque chose.

[EVE]

Le nouveau numéro de claquettes de l'Homme-Taupe titillait la curiosité de EVE. N'étant pas en contact direct avec le sol, elle ne pouvait donc pas en ressentir les vibrations, ce qui, dans un sens, était un peu dommage car elle ne pouvait pas non plus tenter d'interpréter le sens du message. Mais visiblement Krr’karkrrrkr sembla satisfait et ils reprirent leur route jusqu'au terrier.

*C'est tellement fascinant tous ces moyens de communication, que ça soit par son, par image, par lumière, par geste et là par vibration... Certes je ne pourrais jamais faire de claquettes comme les Hommes-Taupes mais il y a tellement d'autres façons de se faire comprendre, mon répertoire de langage est déjà très fourni mais je ne serais pas contre d'apprendre encore d'autres dialectes...*

EVE, une fois arrivée au terrier, ne détecte plus la présence de Xixxxir'xi. Un peu étonnée, elle jette un oeil à Krr’karkrrrkr qui à son tour la fixe en silence. Le robot blanc aux yeux bleus ne parvient pas à déchiffrer les traits, ni à deviner à quoi pouvait bien penser son compagnon d'aventure. Elle a ensuite un petit mouvement de recul, légèrement intriguée, en remarquant la terre remuer sous elle et elle voit peu après Xixxxir'xi en sortir.

*Pourquoi était-elle cachée ?*

Elle observe ensuite le couple discuter et bientôt, en écoutant les explications de Krr’karkrrrkr, elle comprend ce qu'il se passe.

*Des humains pas loin qui cherchent quelque chose ? Serait-ce les conséquences de mon passage quand j'ai creusé dans la galerie et provoqué l'éboulement de la rue ou bien est-ce tout autre chose ?*

EVE demeure songeuse quelques instants puis finalement elle demande doucement :

[EVE] - En sécurité ici ? Ou devoir trouver autre abri pour effectuer soins pour Xixxxir'xi ?

[Astro Buck]

L'Homme-Taupe tourne son museau dans toutes les directions, collectant des informations sur son environnement. Puis il se tourne vers EVE.

[KRR’KARKRRRKR] - Xixxxir'xi trop faible pour changer de terrier. Rester là. Krr'karkrrrkr aller surveiller humains. Voir si danger.

Ceci étant dit, il lâche d'un seul coup toute la brassée de matériel médical dont il était encore chargée, qui tombe sur le sol dans un bruit de ferraille et de bris de verre. Puis il sort de la cachette, laissant EVE seule avec Xixxxir'xi. Dès que Krr'karkrrrkr a tourné le dos, celle-ci s'est laissée choir mollement sur le sol. EVE comprend qu'en présence de son mâle, la Femme-Taupe s'efforçait de paraître moins affaiblie qu'elle ne l'est en réalité. L'effort lui en a tant coûté qu'elle sombre dans l'inconscience, sa grosse patte griffue posée sur le ventre, les maxillaires contractées de douleur.