Aux interrogations de Franco, l'homme-oiseau répond sèchement :[SYCRAT] - Il n'y a pas de zone d'ombre. Je vous ai déjà expliqué que c'est grâce à l'aide des hommes-taupes que mon roi a pu gagner ce pays que vous appelez "la Surface". C'est d'ailleurs bien étrange que vous l'appeliez ainsi, parce que la surface, c'est ici. C'est VOUS qui venez des profondeurs de la terre.
Ces derniers mots attirent un petit ricanement du professeur Néfélus.[NEFELUS] - C'est une vieille histoire ça. Chacun voit les choses de son petit point de vue. Monsieur Sycrat nous met face à un paradoxe... En effet, puisque pour aller d'un monde à l'autre il faut passer par les souterrains, qui de nous ou de lui habite la Surface ?
Le Révérend Digby, qui était resté muet jusque-là, rappelle soudain sa présence en faisant résonner sa grosse voix. Il semble vivement agacé. [DIGBY] - Cessez vos enfantillages, professeur. Au lieu de faire des jeux de logique sans queue ni tête, répondez plutôt à la question de votre fille : est-il techniquement possible de prendre la voie des airs ?
Néfélus est surpris par cette saute d'humeur de Digby. Il le lorgne un instant par-dessus ses lunettes, considérant le visage suant du révérend, attardant son regard sur ses grosses mains tremblantes.[NEFELUS] - Mmm... Le sevrage forcé commence à manifester ses effets.
Je vous ai déjà dit, effectivement qu'il serait possible de réinjecter un gaz sustentateur dans le ballon de notre dirigeable. J'ai découvert des sources naturelles à l'intérieur de larges trous d'eau dans la jungle. Et j'ai en tête le dispositif technique qui devrait pouvoir nous permettre de l'exploiter. Mais cela prendra plusieurs jours... enfin, pour autant que l'on puisse parler de jours dans ce monde hors du temps...
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Beaucoup plus tard...
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Les jours qui suivirent, le professeur Néfélus montra à ses compagnons la découverte qu'il avait faite dans la jungle. C’était une petite clairière au centre d’une palmeraie.Il s'y trouvait un geyser de boue chaude, à la surface duquel venaient crever de grosses bulles gazeuses. Il y plongea un roseau creux et s’exclama de plaisir comme un enfant quand, en approchant une allumette, il détermina une explosion et l’apparition d’une flamme bleue à l’extrémité du tube. Sa joie ne connut plus de bornes en voyant une bourse de cuir, renversée au-dessus des roseaux, se gonfler et s’envoler.[NEFELUS] - C'est un gaz inflammable et sensiblement plus léger que l’air... je n’hésite pas à affirmer qu’il renferme une proportion considérable d’hydrogène libre.
Le ballon dégonflé fut traîné, avec grande difficulté, jusqu'au bord du geyser. Dans la valve d'admission du ballon, jointée avec de la résine, furent insérées plusieurs cannes de bambous reliées à des entonnoirs d’argile qui recueillaient les gaz du geyser. le ballon commença peu à peu de se détendre ; bientôt, elle montra une telle propension à s’enlever que le professeur, pour la maintenir, dut nouer aux arbres le bout des lanières. Plus tard, c'était devenu un ballon de bonne taille, dont on pouvait juger la force ascensionnelle considérable à la façon dont il
tirait sur ses attaches.
Après de soigneux préparatifs, Franco, Adélaïde, Digby et le professeur montèrent dans la nacelle. D'un coup de bec, Sycrat trancha les liens qui retenaient le dirigeable au sol. L'appareil bondit aussitôt vers le ciel, dépassant rapidement la canopée. L'homme oiseau leur avait dessiné une carte qui devait les aider à se diriger, mais sans boussole, cette carte, très mal dessinée au demeurant, s'avéra très vite dénuée de toute utilité.
Alors que le temps avait été clément depuis leur arrivée dans la Terre Creuse, des lambeaux de brumes s'amassèrent petit à petit autour d'eux, jusqu'à rapidement les recouvrir. Une véritable purée de pois. Ils ne pouvaient plus rien discerner, c'était comme s'ils volaient au milieu du néant.
A en juger d'après le nombre de repas et de sommeils, ils restèrent fort longtemps prisonniers de ces nuages opaques.
A un moment, la brume s'obscurcit jusqu'à devenir presque aussi noire que la suie. La nacelle fut ballotée en tous sens. Pris dans un mouvement giratoire irrésistible, les quatre aventuriers eussent vomi trippes et boyaux si leurs estomacs vides avaient eu autre chose à rendre qu'un peu de bile acide...
Le retour au calme fut aussi brutal.
Lorsque le rideau nuageux, enfin, finit par se déchirer, il s'ouvrit sur une vaste étendue glaciaire. Un froid insoutenable assaillit les compagnons de voyages qui n'eurent pour seule ressource que de se blottir les uns contre les autres.
A la banquise succéda l'étendue bleu, un bleu sombre et profond, d'un océan à perte de vue.
Tout espoir de regagner un jour le monde des vivants semblait anéanti lorsque, tel un mirage, surgit au milieu des eaux une île grisâtre hérissée de monts enneigés. Sa configuration, familière aussi bien au professeur Néfélus qu'à sa fille, tous deux versés en géographie, les fit s'écrier d'une même voix : [NEFELUS père et fille] -
Le Svalbard !Risquant le tout pour le tout et amorçant une descente, leur audace fut récompensée car bientôt, brillèrent à leurs yeux mouillés de larmes de joie, les toitures d'un petit village de pêcheurs norvégiens.
Ils étaient sauvés ! Et de retour sur la surface de la Terre. ************************************************************************************************************************
[hrp]Je dois avouer que le passage de ce récit qui concerne le geyser de boue et la manière dont le gaz en est extrait pour gonflé le ballon est honteusement pompé dans le roman d'Arthur Conan Doyle intitulé Le monde perdu[/hrp]