Première nuit

[lucian]

Lucian eut l’air surpris. Il tournait et retournait la petite flûte entre ses doigts, cherchant sur sa surface le moindre indice qui trahirait sa véritable nature. En relevant la tête, il rencontra le regard de Yann qui semblait le presser d’accéder à sa requête.
Ses lèvres effleurèrent donc à nouveau l’embouchure du petit tube en hêtre rehaussé de nacre, libérant une savoureuse mélodie printanière au doux parfum de ces plaines fleuries qui bordaient les rives du long lac et baignaient les contreforts des montagnes grises de leurs enivrantes effluves.

[Machuthu]

Lucian ressent une légère brûlure intérieure, rien d’inquiétant, un peu comme une peine qui remonte à la surface. Devant lui, le portail vibre un instant alors que quelques pétales de roses commencent doucement à s’écouler devant lui. Bientôt une pluie de pétales pourpres le dissimule complètement et dans leur sillage, Lucian aperçoit au loin un château au creux d’une ville prospère.

Le cadet reconnaît les lieux, presque légendaires, Fort-le-kirkch et la demeure des rois.

Yann pose une main sur l’épaule de son jeune camarade.

Eh bien nous voilà fixé quand au don que t’as fait la source.

[lucian]

Lucian observait ébahi le fier bastion surgir sous ses yeux, trônant au milieu de splendides masures tel un roi entouré de ses riches courtisans. Il n’avait visité la cité qu’à travers les livres mais il avait arpenté ses rues de si nombreuses fois en rêve qu’il avait la sensation d’en connaître les moindres détails, l’effervescence de ses rues, la beauté fascinante de son architecture, le port altier des bourgeois marchandant avec ferveur leurs qualités auprès des nobles de la cour…
Sentant une main sur son épaule, il tourna la tête pour croiser le regard de Yann puis reporta son attention sur la petite flûte au pouvoir étrange.

- La source… De quoi parlez-vous ? Je… J’ai du mal à comprendre. Ma mère connaissait-elle ce don que je découvre à peine ? Etait-ce la raison qui l’a poussée à me faire ce présent ?

Sa voix tressaillait légèrement.

[Machuthu]

Tout en discutant, Yann invite Lucian à traverser le portail, le suivant de peu.

Non, ta mère ignorait probablement tout du Rêve. Mais cette flûte a pour toi une importance capitale. Elle te rappelle un être cher, elle fait partie intégrante de toi et tu ne t’imagines pas ne pas la sentir dans ta poche lorsque tu voyages. N’est-ce pas ?

Yann n’attend guère de réponse et poursuit, tout en marchant vers Fort-le-Kirkch.

Non, la source est…

Le voyageur se fait hésitant, comme s’il devait décrire le concept même de la divinité.

… elle est… l’origine de notre pouvoir. Comment t’expliquer ? Imagine un lac immense enfoui sous terre, inaccessible aux hommes. Ainsi est le pouvoir. Par quelques chemins sinueux, ce lac parvient à s’écouler doucement. Ces chemins, ce sont les sources. Nous autres Rêveurs sommes comme le lit de la rivière, la source s’écoule à travers nous. Son pouvoir nous façonne et nous enrichit. Lorsque tu t’éveilles au Rêve, c’est que l’une des sources s’écoule à travers toi. Ce faisant, elle te fait don d’une partie d’elle même, d’un peu de son pouvoir.

Il existe autant de source que de Mesnies.

Yann sourit à l’évocation de ce nom et arrête d’emblée la question qui brûle déjà les lèvres du cadet.

Les Mesnies sont les différentes catégories de Rêveurs. Il y a la Mesnie des Cartographes, celle des Voyageurs, celle des Gardien et celle des Spectres.

Depuis peu le Rêve est en ébullition et il semble que de grands événements soient appelés à se produire bientôt.

J’ai aperçu la nuit passé à Fort-le-kirkch un aveugle qui pouvait prédire l’avenir, il était éveillé mais ne faisait partie d’aucune des Mesnie que je t’ai décrite, je n’avais jamais rencontré pareil Rêveur.

Tout en marchant vous passez bientôt les portes de la cité et des bruits de combat vous parviennent depuis une ruelle proche.

Instinctivement, tu portes la main à la garde de ta lame et t’aperçoit avec soulagement qu’elle t’accompagne dans le rêve. Yann t’observe, jaugeant une dernière fois son compagnon. Visiblement satisfait de ce qu’il voit, il s’élance en direction du combat.

[lucian]

Tout en le suivant de près, Lucian repensait à ce qu’il venait de lui révéler. Toute cette histoire commençait à prendre réalité en lui. Comme son compagnon le lui avait déjà fait comprendre, son don s’affinerait avec l’expérience. Dès lors, il savait qu’un jour, sa capacité à trouver les portails et à voir au travers d’eux l’amènerait à rencontrer d’autres rêveurs comme Yann ou cherchant à en tirer profit. Dans tous les cas de figure, il lui semblait peu probable que ces rencontres, bonnes ou mauvaises ne se déroulent sans heurt. Les signes avant coureur d’importants changements dans le rêve annoncés par son compagnon, ne faisaient que confirmer ses craintes. Tout ceci n’avait rien de rassurant et la perspective d’un destin jalonné de peine et de souffrance l’angoissait un peu.
Le fracas des armes évaporèrent un instant ses pensées. Au bruit répercuté en écho par l’exiguïté de la rue, il savait que l’escarmouche ne serait pas une partie de rigolade mais la seule chose qui lui importait en cet instant, était de suivre Yann. Cet homme n’avait pas cherché à lui nuire, il l’avait écouté et guidé jusqu’ici. Par certains côtés, il lui rappelait maître Nohlam, attentionné, prêt à répondre à ses moindres interrogations. Il refusait de se l’avouer mais au fond de lui, il savait qu’il commençait à s’attacher à ce mystérieux personnage. Il ne pouvait donc pas le laisser faire face seul au danger même s’il ne doutait pas que son art de la guerre suffirait à régler le problème sans trop de difficultés.
A l’approche de la source du combat, il tira sa lame courbe hors de son fourreau tout en scrutant les bâtisses bordant la ruelle, prêt à faire face à toute éventualité. Il était hors de question de se laisser surprendre cette fois.

[Machuthu]

A quelques dizaines de mètres à peine, se tient un homme seul. Elancé, presque rachitique, il ne devrait guère poser de souci à Yann et pourtant se dernier hésite un instant.

C’est plus de temps qu’il n’en faut à l’homme pour se concentrer et pointer vers les nouveaux arrivants un poing vengeur.

Horrifié par la vision qui s’impose à lui, Lucian ne peut que subir les événements et lorsque Yann hurle au jeune cadet de se mettre à couvert, tu ne réagis même pas.

Planque toi, c’est un gardien.

Le poing de votre adversaire rougeoie jusqu’à s’enflammer. Ses os fins, sa peau blanche et son armure étrange, tout concorde pour lui ôter toute apparence humaine. Le regard chargé de haine, d’un geste ample, l’homme envoie la boule de feu en direction du cadet.

Sans l’intervention de Yann, Lucian aurait pris la sphère incandescente de plein fouet mais le voyageur est parvenu à le plaquer au sol juste à temps, encaissant lui même une bonne partie des dommages.

Lucian se dégage de l’emprise de Yann qui reste inconscient au sol.

[lucian]

Lucian se relève, légèrement déboussolé par la tournure des événements. Il aperçoit le corps de son compagnon étendu, inerte à son côté.

- Yann ! Yann !

Quelque chose passe dans son champ de vision, il lève la tête sur l’hideuse créature qui vient de les balayer comme de vulgaires fétus de paille.

- Bon sang qu’est-ce que c’est que ça ?!

Serrant les poings, il sent l’adrénaline emplir la moindre parcelle de ses muscles, noyant sa peur dans un flot de rage grandissant. Il tente de saisir son arme mais il se souvient l’avoir échappée sous le choc. Il sait qu’il doit réagir vite, il n’aura pas de seconde chance.
Avisant la distance qui le sépare du gardien, il constate qu’il ne pourra pas récupérer son cimeterre à temps. Il se précipite alors en direction de son adversaire pour s’esquiver de côté une fois à sa hauteur puis prendre appui sur le mur. Son corps pivote pour gagner en vitesse et en puissance pendant qu’il dégage d’un geste fluide, la petite lame brisée qu’il conservait précieusement calée dans sa ceinture. Son bras se détend et décrit un arc de cercle en direction de la gorge du gardien.

[Machuthu]

Lucian sent avec effroi la progression de la lame ralentie par une armure invisible.

Plus surprenant encore, de près, la créature ressemble à un vieil humain envellopé de plusieurs couches de vêtements et d'armure.

Lucian croise le regard de son opposant. A la place de la haine découverte plus tôt, il y lit de la tendresse mélée de pitié... Presque le regard 'une mère qui s'attriste devant la souffrance de son enfant.

Lucian ne perçoit même pas le tournoiement d'une épée lancée depuis l'intérieur de la bâtisse. Le Gardien reçoit la lame de côté mais le choc de Lucian n'aurait pu être plus grand même s'il avait lui même reçu le coup.

En un instant, le regard se teinte de nouveau de haine et de mépris, d'un geste ample, empreint de prestance et de pouvoir, le Gardien repousse le Cartographe. Nul homme ne peut avoir une telle force et le Rêve semble cacher bien des dangers.

[lucian]

Abasourdi par la puissance du gardien, Lucian cherche une échappatoire. Du coin de l’œil, il aperçoit la petite lame de métal luire près de l’encadrement de la porte. Trop loin…
Son cœur se met à battre à un rythme effréné, il recule de quelques pas tout en fixant son adversaire afin d’anticiper sa prochaine attaque mais son esprit ne parvient pas à se focaliser totalement sur lui. L’image de Yann étendu à quelques mètres à peine derrière, le hante. La peur de perdre à nouveau un être cher lui est insoutenable mais il sait qu’il n’aura jamais le temps de vérifier la gravité de sa blessure.
Encore une fois il n’a pas su se montrer à la hauteur. Ses yeux se ferment de désespoir mais une petite étincelle persiste à éclairer les ténèbres qui l’entourent. Il se surprend alors à s’adresser au gardien d’une voix emplie de crainte.

- Qui êtes-vous… que cherchez-vous ?

Contractant ses muscles, il s’attend à recevoir à tout instant cette formidable décharge d’énergie qui les avait balayé lui et son compagnon quelques minutes plus tôt.

[Machuthu]

Mais l'oeil du Gardien est attiré ailleurs.

Dans une scène suréaliste, une jeune femme, fort attirante sort de la masure et s'approche de votre adversaire. Un instant, ce dernier reste pantois mais affiche rapidement un sourire mauvais...

On ne prend pas Jack à son propre jeu jeune impudente...

Cette réplique laisse néanmoins plusiueurs secondes de répit à Lucian.

[lucian]

Lucian est quelque peu surpris en entendant le gardien prononcer cette étrange phrase à l’attention de la jeune femme. Néanmoins, il recouvre rapidement ses esprits et sa détermination reprend le dessus.
Se murmurant à lui-même :

Jack ?! Ce monstre s’appelle Jack ? Cela change les données du problème… S’il porte un tel nom, il doit forcément être humain… Il est redoutable mais il existe un moyen de le mettre hors de combat. Je dois faire vite… Réfléchis… Réfléchis…

L’étrange aura qui protège cet homme ayant fait échouer sa première attaque, son regard balaye le corps du gardien à la recherche d’une faille et se porte sur son flanc. Il remarque alors l’épée. Il y a visiblement une autre personne à l’intérieur de la maison et son assaut a fait mouche même si cela ne semble pas gêner ce Jack.
Une idée lui vient alors en tête, risquée et complètement folle. Il détache sa cape et, le cœur battant, tente de s’approcher aussi discrètement que possible de son assaillant afin de l’aveugler et permettre au compagnon de la jeune femme d’agir.
S’il se fait repérer avant d’avoir pu mettre son plan en pratique, il créera tout de même une diversion suffisante pour permettre aux occupants de la petite bâtisse d’attaquer ou de fuir…

[Machuthu]

D'un geste agile, Lucian pivote sur lui même en retirant sa cape et l'envoi voler sur le visage du Gardien. Il assure ensuite sa prise alors que de l'intérieur, trois projectiles se dirigent vers son adversaire... La première dague touche le flan du Gardien, la seconde s'écrase derrière un mur à l'arrière. Le troisième projectile touche bientôt les mains de Jack et Lucian découvre avec horreur qu'il s'agit d'un doigt humain.

Le combat s'enchaîne très vite et le Gardien affaibli par les coups successifs est bientôt maitrisé par deux gaillards puissants.

Lucian se retourne alors vivement et voyant Yann toujours au sol ne peut s'empêcher de crier.

YANN !!


(hrp: RDV sur le sujet une capture mouvementée...)