La première transformation de Tristan

[Zoorin]

Il saute par dessus les ronces et les souches. Il passe à gauche, à droite des arbres. Il entend les cris, le souffle de la Bête derrière lui. Il veut vivre.

"Vivre"

Il a toujours survécu ainsi, et il ne veux pas que ça s'arrête là. Il jette un coup d'oeil, et voit sa poursuivante non loin derrière lui.

"Cours"

Il sent ses jambes tirer, il sent ses bras pousser loin devant, il sent son corps aller aussi vite qu'il le peut.

"Survis, Utilise ta Rage de vivre"

Il n'entend pas vraiment cette voix. Il ne comprend pas vraiment que c'est une voix dans sa tête. Il ne pense pas à ça. Il pense à courir, à vivre.

"Ta Rage, fils, ta Rage, elle seule pourra te sauver"

Il sent cette force dans ses reins, dans ses jambes, dans ses bras. Il sent sa fougue, comme avant l'asile, quand il courait dans les rues.

"C'est ça fils, lance là, lâche là. Elle est ton meilleur allié"

Il souffle, il inspire. Toujours plus fort, toujours plus ample. Il fait exploser cette force dans ses poumons. Il veut plus d'air. Il crie en expirant. Il allonge le pas, il balance les bras le plus loin possible, encore plus loin. Il tire sur ses membres, il veut pouvoir fuir plus vite. Il sent ses membres s'étirer.

"Voilà fils, laisse ton corps faire tout seul, laisse l'énergie de ton corps se répandre"

Sa vue se brouille légèrement, il se concentre sur son corps, qu'il sent bouillant, rugissant, nerveux, prêt à exploser. Il sent son corps se tendre pour être plus puissant. Il ne pense plus vraiment. Il veut fuir.

"FILS, nous sommes là, vas-y !"

[Khelren]

Il aime cette voix. Elle lui inspire confiance. Elle est douce, apaisante bien qu'elle fasse remonter à la surface des instincts primaires. Survivre. Oui, comme toujours. Quelque soit le poursuivant, il a toujours réussi à le distancer.

Et courir dans les rues avec tous ces gens, c'est moins agréable. Là, il est seul, seul avec la nature, avec son poursuivant. C'est un monstre. C'est un jeu. Proie et prédateur. Il inspire à plein poumon l'air si pur si léger, raffraichi par le feuillage des arbres. Il ne trébuche pas, les branches semblent s'écarter de son chemin.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Tristan se rend compte qu'il est heureux. La peur le quitte, totalement. Il sent cette force. Il se sait fort. Autrefois il était misérable et effrayé. Autrefois...

Il hurle dans sa course. D'effort et de joie. Il court aussi vite qu'il peut. Il puise dans son sang qui bouillonne. Il sent le vent sur son visage. Ses yeux se ferment à moitié. Il bondit, comme un géant, à une vitesse prodigieuse. Tout est flou.

Il s'arrête, exténué, après une longue course, tentant de calmer sa respiration pour écouter le bruit de son poursuivant. Il pose ses mains sur ses genoux.

Et il se rend compte...

Ses mains sont poilues et immenses, armées de griffes comme des couteaux. Son corps est recouvert de poils, immense et puissant.

Elle n'avait pas menti: il est le monstre. Sa joie disparaît, laissant place au choc. Plus rien ne naît dans sa tête, ne survit. Il n'y demeure qu'une constation brève, froide et cruelle:

Il est le monstre...

[Zoorin]

Regardant derrière lui, il voit l'autre monstre s'arrêter non loin de lui. Immédiatement, il se transforme et redevient la jeune femme qu'il l'a emmené ici. Elle affiche un grand sourire et s'approche, confiante, en tendant les bras vers lui.

Bravo, félicitation. Tu as réussi. Tu as vaincu ta peur qui t'empêchait de découvrir ta vraie nature : celle d'un être de pureté.

"Elle dit vrai, Tristan. Je sens ton désarroi, chasse-le. Laisse-la te guider sur ta vraie voie."

La femme ne semble pas entendre ce qu'il entend. Elle ne semble pas avoir du tout peur de lui non plus, malgré leur différence de taille et de carrure.

Elle pose une main délicate sur son énorme bras, et lui dit :

Maintenant, reprend ton calme. Laisse ton corps redevenir ce qu'il a toujours été.

[Khelren]

Tristan sent toute émotion le quitter, ne laissant plus qu'une coquille vide, au bord de la démence. Il n'a plus de force, plus de vie. Son regard est lointain, perdu dans des contrées inhospitalières.

Il est le monstre.

Mais il est... ce qu'il a toujours été. Rien n'a changé. Il demeure Tristan. Pas un meutrier. Un fou? Peut-être. Mais pas dangereux. Peu importe la forme, il était toujours au fond lui-même. Les griffes, les poils sont effrayants, mais Tristan est Tristan.

C'est un premier pas.

Un être pur? Ca?

[Zoorin]

Elle sourit aimablement :

Oui, je comprend ta surprise. Mais sache que ce que nous sommes est l'expression de la pureté même. Bien sûr, nous pouvons être souillés, mais nous sommes conscients de cela et nous pouvons y apporter un remède. La force spirituelle qui nous habite nous permet de soigner tous les corruption du monde. * elle prend un ton distant * Ou du moins d'essayer.

Maintenant que tu es calme, je vais t'apprendre la première chose à savoir, c'est de contrôler ton corps. En toi coule une force que nous nommons la Rage. Don de Gaïa et de Luna, elle nous permet de nous transformer à loisir. Normalement, tu dois la ressentir. C'est elle qui t'a fais bouillir tout à l'heure, que je me suis efforcée de faire memonter.

"Fils elle parle de ça" Soudain, une envie de hurlement apparait dans sa poitrine et remonte vers sa gorge. Il ne la contient qu'à grand peine. "Ressent ta Rage, fils. Apprend à te contrôler, suis ses conseils"

[Khelren]

Tristan laisse échapper d'une voix à moitié morte:

Si vous le dites...

Il continue de fixer le sol, totalement absent.

Mais je crois que j'ai eu suffisamment de révélations pour aujourd'hui.

J'ai besoin d'être seul. De réfléchir.

Il réprime à grande peine un sanglot.

[Zoorin]

La jeune femme, manifestement attristée, fait quelques pas en arrière et dit doucement :

D'accord, pas de soucis. Je te laisse, je vais chercher tes vêtements. Si tu as besoin de moi, appelle fort.

Elle se retourne et s'enfonce dans la forêt.

Il la regarde s'éloigner, puis regarde autour de lui, et s'assoie. Il touche ses jambes, énormes et recouvertes en grande partie d'une légère fourrure. Il regarde ses griffes, et tente de caresser une fleur avec, et s'aperçoit avec surprise qu'il est assez habile malgré sa nouvelle taille.

Soudain, il aperçoit du coin de l'œil une ombre se faufiler entre les arbres. Il lève la tête et ne voit plus rien. Puis, en fixant un endroit à côté, il aperçoit un être semblable à ce qu'il est, mais presque invisible, transparent. Il est revêtu d'une grande robe malgré sa forme monstrueuse, et il se soutient avec un bâton sur lequel est accroché des morceaux de métal fondus et tordus. Il reste à distance, se contentant d'observer. Tristan remarque que sa jambe droite passe à travers une touffe d'herbe.

Il se surprend à ressentir quelque chose en le voyant, un mélange étrange de sensation et de sentiment.

Il perçoit une proximité spirituelle avec ce … fantôme. L'idée qu'il sont de la même parenté s'impose à son esprit, même s'il sait que c'est irrationnel. Mais qu'est ce qui est rationnel ici ? Par ailleurs, lorsque les deux se regardent dans les yeux, Tristan sait qu'il l'attend. Il ressent une joie dans son regard, une joie contenue et discrète, mais une joie intense tout de même.

"Bienvenue dans ton monde, fils"

[Khelren]

Tristan se relève et s'avance vers le fantôme. De sa patte, il essaie de le traverser pour vérifier sa consistance.

Vous n'êtes pas réel... Encore un loup. Vous êtes une hallucination.

Qui êtes-vous? Et ceci n'est pas mon monde. Mon monde, c'est une cellule. Pour les fous.

Tristan part dans un rire faible et pathétique. Une immense fatigue se ressent en lui. Il laisse pendre ses bras et son dos est voûté. Son regard vient se perdre dans celui du fantôme que son esprit a crée.

[Zoorin]

Le vieil homme se rapproche, et lui dit :

Non, fils, je suis réel. * se rapprochant * Ton esprit n'est pas dans une cellule. Tu crois devoir y être mais c'est faux. * agitant son bâton dans un moment d'énervement * Qui te l'a dit ? Pourquoi le crois-tu encore ?

* tendant une main translucide *

Touche moi si tu le désires.

[Khelren]

Tristan tend sa main vers le vieil homme.

Si je peux vous toucher, c'est soit un nouveau stade de folie, soit que tout cela est réel.

Après une hésitation:

Mais je commence à croire que tout ça est réel...

Tristan touche la main du fantôme.

[Zoorin]

Le contact avec l'être fantomatique fait un petit choc à Tristan. Son contact est mou, comme s'il pouvait désagréger le corps de son "ancêtre" d'une chiquenaude, mais il est chaud !

Le vieil homme lui prend deux de ses énormes doigts, et sourit faiblement.

Ta guérison sera longue et peut être jamais définitive, fils, mais nous serons toujours là pour t'aider. Commence par ressentir et prendre possession de ton nouveau corps.

Le vieil homme lâche la main et dit à Tristan en faisant un geste désignant le sol.

Assis toi là, ferme les yeux.

Hébété, voulant des réponses, Tristan obéit. L'herbe est douce et d'une fraîcheur agréable. Il se met en seisa et pose ses lourdes mains sur ses cuisses énormes et velues. L'ancêtre vient devant lui, à peine plus grand malgré qu'il soit debout. Il refait un geste et de la main de haut en bas en disant : Ferme les yeux, et écoute-moi.

Tristan, après avoir regardé à nouveau à travers le vieillard, lui obéit.

Commence par prendre possession de toi. Écoute ton cœur, écoute ton sang, sent ta peau, tes poils, ta fourrure.

Tristan lui obéit. Il remarque que son cœur ne bat pas si vite que cela, que les tempes ne sont pas oppressées comme lorsqu'il a une crise, qu'il à des poils durs, et d'autres soyeux. Que ses griffes ne sont pas si longues que cela.

Sent le vent sur ton corps. Sent l'odeur de la forêt, écoute les oiseaux, les petites bêtes, les arbres.

Et ainsi de suite. Tristan ne sait combien de temps il passe ainsi à suivre les instructions de ce mentor fantomatique. Celui-ci le fait alternativement se concentrer sur des parties de son corps, et sur un aspect de son environnement. Tout cela toujours les yeux fermés. Tristan se surprend plusieurs fois à percevoir des choses si infimes (le son d'une brindille qui craque sous les pas d'un furet), si ténus (l'odeur d'une biche à de lieux de là), qu'il se surprend lui-même. Au bout d'un moment, le ton de son "ancêtre" (il ne sait d'où lui vient la certitude qu'il a vraiment un de ses ancêtres loup-garou en face de lui) change :

Maintenant, va au plus profond de toi-même, et ressent l'une des deux forces qui t'anime : ta Rage, ton énergie de dernier secours, la puissance conférée par notre mère à tous, qui t'a permis de te transformer, et qui te permettra mille autres miracles.

Étonnement, il ne sait pourquoi, mais Tristan ressent cette Rage, cette fougue, cette chaleur qui circule en lui. En réfléchissant dessus, il se dit que son ancêtre lui a tellement fait ressentir les choses matérielles, qu'il ne reste plus que ça en lui. Il a réussi à lui faire ressentir la différence entre tout ce qui est en lui.

Si seulement il pouvait faire de même avec ce qu'il y a dans sa tête.

Cette Rage t'appartient, fils. Tu peux l'utiliser pour forcer ton corps à de nombreux exploits. Pour l'instant, concentre-toi simplement sur ton corps et demande à ta Rage de te faire revenir à ton état humain.

Tristan est surpris, comment faire obéir quelque chose d'aussi intime, d'aussi ténu ? Il tente en pensant à comment il était avant, …


… et instantanément il sent son corps chauffer et perdre de sa dureté. Il sent son énergie intérieure prendre possession de chaque partie de son corps, et de le contracter. De stupeur, il ouvre les yeux, et voit ses poils se rétracter, ses griffes redevenir des ongles, ses bras raccourcir. Il sent ses jambes frotter contre le sol et rapidement, il se retrouve sous forme humaine. N'en revenant pas, il regarde ses mains un moment, avant de lever rapidement les yeux vers le fantôme.

Il n'est plus là.

Ah, tu as réussi à reprendre ta forme humaine. Bravo !

Tournant la tête, il voit la jeune femme arriver près de lui.

Je t'ai ramené tes vêtements, mais ils sont toujours dans le monde matériel, vient nous devons reprendre la route. Je pense que tu en as suffisamment appris pour aujourd'hui. Il se lève, toujours sous le choc de ce qu'il vient de faire, tournant la tête de tout côté sans voir le vieillard.

Elle pose sa main sur son épaule et lui dit :

Attention au passage du goulet.

Reprenant ses esprits, il se concentre sur ce qui va lui arriver, et alors que les sensations d'humidité reviennent, il entend dans un souffle de vent :

"… Félicitations, fils."