Une explication au bord du lac

[Zoorin]

Sylve-la-Coriace entraîne Khôl sur un sentier et l'emmène sur les rives du lac. Ils se trouvent de l'autre côté, loin de la fête, et les sons de la ville assourdis créent une ambiance d'éloignement propice à la rêverie. Là, elle s'assoit et invite le jeune homme à faire de même. En même temps, elle demande :

Raconte-moi comment tu vies et comment tu as appris l'existence de ta tribu ?

[Earalia]

Oui Sylve...

Comment je vie...
Et bien, je change sans cesse de pays depuis tout petit, d'ambassade en ambassade : mon père travaille pour celle d'Egypte. Ma mère est morte à ma naissance, et comme mon père est souvent absent, comme en ce moment, c'est Maria ma nurse qui s'occupe de moi.

Elle vérifie que je fais mes devoirs, que je vais bien au lycée, des choses comme ça.

En dehors des nombreux voyages et de mon amour du journalisme, j'ai une vie presque normale pour une garçon de mon âge.

Ma tribu... C'est Maria...
J'ai parlé avec elle. C'est une parente.
Sa famille et la mienne ont toujours été liées. Elle m'a raconté de nombreuses histoires sur la tribu, les présentants comme des nomades classiques, et comme des légendes...

Maria...
Je voulais justement qu'elle rencontre une personne du Caern, pour qu'elle soit rassurée, et qu'elle m'aide à convaincre mon père de suivre des cours particuliers, plutôt que de continuer l'école.
Vu que c'est vous qui devez m'apprendre, ça vous donnerait l'excuse idéale pour venir.

Je la connais, elle voudra que je passe mes examens... et elle a raison, ça peut toujours être utile, même ici...

[Zoorin]

Sylve-la-Coriace sourit doucement, manifestement touché par les paroles de Khôl sur Maria. Elle reste quelques secondes perdues dans des pensées qui semblent être agréables. Durant ce temps, pour ne pas trop la fixer Khôl regarde les eaux du lac, noires et calme, les formes sombres des arbres en face, et les halos lumineux des lampadaires.

Elle a raison de s'inquiéter, et ton idée n'est pas mauvaise. Nous n'avons pas vraiment ici de personnes titulaires d'un diplôme de professorat, mais nous pouvons arranger cela. En fait, je pense que tu ne te rends pas compte des choix que tu vas devoir faire dans les années qui arrivent.

Tu vas devoir clairement choisir entre une forte implication ici, et des études poussées.

Elle regarde Khôl, les yeux perçant et le front sérieux.

Et même si tu poses la bonne question : "comment être plus utile à ton peuple ?" ; je pense que ta réponse est prise un peu hâtivement. Certains d'entre nous ont délibérément sacrifiés quelques années de leur temps au sept, pour s'engager dans leur vie, et pouvoir ensuite avoir de meilleures armes pour le soutenir.

Elle reste un certain temps sans parler, laissant ses paroles dégagées tout leur sens dans l'esprit du jeune homme, et reprend :

Seras-tu plus utile, dans dix ans, avec un bac et des années de lutte ici, ou avec un poste important, malgré une plus faible implication dans les luttes quotidiennes du sept ?

[Earalia]

Khôl ne répond pas tout de suite.
Il laisse murir les paroles de Sylve dans son crâne.

Après un profond soupir, il parle enfin, fixant une lumière se réflechissant sur l'eau du lac
Je ne sais pas... vraiment...

Je ne connais pas encore le monde où nous émergeons, Pierre, Cadélé et moi...
Je ne connais pas la situation dans laquelle est notre peuple.

Je dirais que... dans 10 ans, avec des armes, même spirituelles, ce serait mieux...
Mais... que restera-t'il de nous dans 10 ans ? Ne sera t-il pas trop tard ?
Dans les légendes de Maria, nous semblions être bien plus nombreux et plus forts que maintenant...

Je ne peux pas répondre, Sylve-rhya... pas encore...

Tu es plus sage, et plus à même de répondre à ces questions que moi...

[Zoorin]

Sylve-la-Coriace laisse flotter un moment les paroles de Khôl avant de reprendre :

Il est évident que tu n'as pas ni les connaissances ni le recul nécessaire pour appréhender notre situation. Je te fais cette remarque pour que tu réfléchisses à cela, pour que tu ne te précipite pas ici à ton moindre temps libre. Nous pouvons très bien survivre encore sans toi quelques temps.

Elle se penche en arrière, et se tient sur ses coudes :

Vu ta position, il nous serait probablement très utile que tu gardes de nombreux contacts dans les ambassades, et que tu t'en fasses d'autres grâce à ton métier. Je suis bien consciente que tes études te prendront beaucoup de temps, mais sache que tu pourras rejoindre une meute malgré tes absences. Une meute n'est que rarement au complet de nos jours. Beaucoup d'entre nous ont un métier, le plus souvent à mi-temps.

Elle se redresse et demande :

Tu as bien compris ?

[Earalia]

Je comprend...

Enfin, je crois

*Khôl glousse* oui, vous pouvez survivre sans moi !

Mais...
*une pointe de désespoir perce dans sa voix*
Cadélé, Pierre, Noire-Rivière... Je serais des leurs ? Je ferais parti intégrante de leur meute, vraiment ?

Et... Si...
Je devais partir avec mon père ?
* à la limite de la panique *

[Zoorin]

* d'un ton grave * Le destin des Arpenteurs Silencieux est bien cruel, car en effet, il leur est difficile de rester en place. C'est ainsi que moi, j'ai longtemps dû régulièrement quitter ma meute pour la retrouver bien après. Mais ce n'est pas le lot de tous, et il est toujours possible de lutter contre sa nature. C'est ce que je fais depuis quelques années, en restant ici.

Elle sourit :

Tu verras, tu auras toute ta vie à lutter entre le désir de rester près de tes frères et sœurs de meute et l'envie de partir vers d'autres horizons. Mais ne t'inquiète pas. Tous comprendront et t'aideront. * plus sérieuse * Pour l'instant, la priorité, c'est que tu t'insères dans une meute, que tu réussisses ton épreuve de passage et que tu deviennes un vrai garou.

Elle fait une pause, regardant la Lune et les étoiles ; puis reprend plus fort et plus vive :

Concernant ton père, il va falloir être fort et ferme. Ou plutôt persuasif, c'est beaucoup plus agréable et efficace ainsi. Il va falloir lui expliquer que tu veux rester quelques années au même endroit, pour le bien de tes études et de ton avenir. Pour ne pas perdre une fois de plus tes amis. Il doit déjà connaître ses arguments et être bien conscient de la vie qu'il t'a déjà imposé, sans savoir qu'il n'était que l'instrument de ta destinée d'Arpenteurs Silencieux.

Tu y arriveras, tu franchiras cette épreuve, j'en suis sûre.

[Earalia]

Khôl est ragaillardi à ces mots et regarde enfin Sylve, quittant des yeux la lumière tremblotante dans l'eau

Merci... Merci beaucoup...

Je persuaderais mon père de me laisser ici, et m'y installer *sourit*
Je resterais à Paris, et Maria m'y aidera...
...Nous y aidera

Mais...
Si j'ai bien compris, tu es toi aussi un Arpenteur Silencieux ?

C'est donc cela que tu vas m'apprendre... et toi qui me donnera la mission à remplir pour être accepté par la tribu...

[Zoorin]

Oui et non. Je vais t'enseigner comment se comportent les Arpenteurs Silencieux, et ce que tu dois faire pour inscrire tes pas dans leur chemin. Mais tu dois adopter un comportement valable dans n'importe quelle situation. Quelle que soit la mission, les missions que tu auras à accomplir, tu devras le faire en tant que Gaillard Arpenteur Silencieux.

Elle lève la main, et sourit d'un air malicieux :

Car ce n'est pas moi qui vais choisir ce que tu vas faire. C'est le Maître des défis, associé au conseil des anciens, et sûrement aussi au Maître du Rite. Et tu ne seras pas seul. Autant que possible, les épreuves du rite de passage ne se font pas seules, car toute ta vie tu seras en meute. Il faut que chacun prouve qu'il est capable d'être efficace pour lui et pour les autres.

Elle regarde Khôl dans les yeux et ajoute, d'une voix de sage :

Et je sais que tu en es parfaitement capable.

Je suis Gaillard Arpenteurs Silencieux, comme toi. Je sais reconnaître ceux qui savent observer, décrire, raconter et faire vibrer les mots. Tu seras un bon gaillard, car tu es sensible, et que tu sais utiliser ta sensibilité. Tu seras un bon arpenteur silencieux car tu sais regarder et mémoriser, et tu n'as pas peur de partir dans l'inconnu.

Elle laisse ses mots s'insérer dans la tête brûlante de Khôl avant d'ajouter :

J'ai confiance en toi.

Je te guiderais, je te conseillerais, je t'expliquerais les origines, les traditions et les valeurs de ta tribu. Et je sais que tu en seras un digne représentant.

[Earalia]

Khôl ne peut s'empêcher de rougir devant ce qui semble être clairement un compliment...
...ou du moins, une preuve de confiance assez incroyable...

Je...
M... Merci... de ta confiance... de ton aide...

Je tâcherais d'en être digne.
Khôl garde la tête baissée un moment, marquant le respect qu'il ressent envers son aînée, son nouveau professeur...

Après un instant de silence, Khôl reprend

Quand veux-tu commencer ?
Veux-tu rencontrer Maria avant ? Afin de mieux la connaitre, et de savoir ce qu'elle m'a appris jusqu'ici ?

Khôl sourit
Je suis certain que vous vous apprécierez toutes les deux !

[Zoorin]

Oui, si tu veux. Allons-y. * se levant * Ta nourice m'intrigue, il faut qu'elle me dise ce qu'elle sait. Peut être pourra-t-elle nous aider.

Elle se dirige vers le portail, Khôl s'étant levé et la suivant.

Parle-moi d'elle, de sa propre famille, de là où vous venez.

[Earalia]

Alors qu'ils s'avancent tous deux vers le portail, Khôl raconte son histoire, et ce qu'il sait de Maria...

Quand je suis né, ma mère est morte en couche en me mettant au monde. Si j'ai bien compris, mon sang garou me vient d'elle.
J'ai de la chance, Camel, mon père ne m'en a pas rendu responsable, et il m'a toujours aimé à sa façon, froide et un peu distante.
Je soupçonne à présent qu'il sentait la rage en moi... ce qui l'a un peu éloigné, et l'a empêcher d'être plus démonstratif...

Son métier l'obligeant à me laisser seul fréquemment, il a pris une nourrice pour se charger de moi : Maria...

Mon père la connaissait déjà, par ma mère : Maria m'a dit faire parti d'une famille qui servait la mienne depuis bien longtemps.

Elle vivait à Alexandrie, où mon père a du la contacter...
Elle se fait vieille désormais, et j'ai un peu peur qu'elle doive bientôt partir... Mais je réalise qu'elle ne le peut peut-être pas en fait...

Elle m'a raconté une partie de sa vie...

Khôl s'arrête un instant, marquant le début de l'histoire... Ses mots, ses intonations font défiler des images dans l'esprit de Sylve et le sien... Des images d'ailleurs, en un autre temps pas si lointain...
Maria est née peu de temps après la seconde guerre mondiale, et Alexandrie portait encore quelques traces de la guerre.
L'Egypte était en pleine effervescence, avec des fouilles un peu partout dans le pays...
Souvent, elle courrait au milieu des fouilles, cherchant à apprendre, et à rendre service, moyennant quelques piécettes.

Elle se rendait régulièrement dans le désert, avec sa mère et son frère, à la rencontre de tribus nomades... nos frères Egyptiens.

Elle a été toujours assez heureuse dans sa vie, et l'aide que sa famille apportait aux nomades leur était rendue, les protégeait et les aidant à leur tour quand l'occasion s'en faisait sentir.

Maria et ma mère se connaissaient, et parfois, elles jouaient ensemble, dans la demeure familiale, petite et vieille.
Ma mère pouvait aller à l'école, et régulièrement, Maria et elle étudiaient ensemble sur le même livre, ce qui a été toute l'éducation de Maria.

Avec le temps, elles se sont un peu détachées, mais sont toujours restées amies. Maria devait avoir appris son rôle, et ma mère le sien...

Plus tard, ma mère roncontra mon père, et elle tenait à avoir l'avis de Maria.
Riche, assez beau, gentil, et avec un avenir prometteur, Maria ne put donner que son accord. Elle ne partageait pas ses gouts, et n'a jamais été jalouse. Le bonheur devait donc être complet.
De son côté, Maria restait proche de ma famille, et avait obtenu une place de sage-femme à Alexandrie.

De ce fait, elle assista à ma naissance, quelques années plus tard... et à la mort de ma mère...
Personne n'avait rien pu faire pour la sauver, et se sentant un peu coupable, elle abandonna son poste, pour s'occuper de moi, et respecter les voeux de sa famille d'aider la mienne...

Très vite, elle est devenu un membre de la famille, me choyant comme son propre fils.
C'est elle qui m'a enseigné la bonté, et sa patience est sans limite...

C'est une sainte à mes yeux... en plus d'être... ma maman...

[Zoorin]

Elle est une parente exemplaire, en effet.

Devant les sourcils interrogateurs de Khôl, elle explique :

Nous appelons parent toute personne de notre famille qui est au courant de notre véritable nature, et qui est suffisamment proche de nous pour percer le Voile. Ta nourrice est une parente, et il ne me serait pas surprenant qu’elle soit de ta famille, même d’assez loin. Ceci étant, elle peut elle-même l’ignorer.

Sylve-la-Coriace et Khôl arrivent près de la voiture qui l’avait transporté la nuit de sa transformation. Il se dit qu’en peu de temps, il est passé de l’état de jeune terrorisé et perdu à celui de loup-garou connaissant (plus ou moins) ses capacités et son avenir.

Ils rentrent dedans et Sylve-la-Coriace démarre. Alors qu’elle manœuvre, elle demande à Khôl :

Est-ce que dans certains pays, tu l’as vu discuter avec des gens qui s’intéressaient à toi ?

[Earalia]

Non, jamais...

Khôl pense deviner où Sylve veut en venir
Jamais je ne l'ai vu faire ce genre de chose, mais elle a souvent été seule, à s'occuper des appartements qui été alloués à mon père...

De cette façon, elle a pu le faire sans que je le vois... elle m'a dit avoir cherché nos frères dans chaque ville où nous séjournions, afin de contacter les caerns locaux.
Cela leur permettait de me "surveiller" comme vous l'avez fait avec Cadélé.

Même ici, elle a tenté de trouver quelqu'un... et elle s'en veut, car elle n'a réussi à trouver personne, et que ma première transformation a donc été un peu... chaotique.
Cela lui a fait peur rétrospectivement...

Khôl, inconsciemment, prend la défense de Maria... Il sait pourtant, au fond de lui, que Sylve ne pense même pas à reprocher quoi que ce soit à Maria...
Si je ne l'ai jamais vu faire, c'est sans doute qu'elle a été le plus discrète possible, pour protéger le secret, et me protéger d'un savoir qui aurait pu me perturber.

[Zoorin]

Ta nourrice, Maria est clairement une personne avisée et intelligente. J'ai hâte de la rencontrer. Vois-tu, ce qui m'intéresse, entre autre, c'est de savoir si elle a des informations concernant ton ascendance, tes ancêtres. Pour nous, c'est important. Tout le monde se présente durant les assemblées importantes en donnant sa lignée et en nommant ses plus prestigieux ancêtres. Nous devons donc savoir qui ils ont été pour que tu puisses apprendre d'où tu viens.
Par ailleurs, il arrive que des fétiches, des objets sacrés, soient transmis au plus proche descendants d'un grand garou. Pour savoir si un tel objet t'attend quelque part, il faut connaître ton ascendance.


Sylve-la-Coriace conduit prudemment et se tait, faisant attention à la circulation. Encore une fois, Khôl est saisis par le décalage entre la situation incroyablement banale dans laquelle il est, et le monde des loups-garous. Autour de lui, la nuit parisienne se déroule sans accrocs, indifférents aux deux métamorphes qui passent à côté d'eux. Il regarde Sylve, et voit une femme d'une quarantaine d'année, les traits accentués par les rides, les yeux noirs vifs et les cheveux poivre et sel en queue de cheval. Elle pourrait être institutrice en ZEP, ou monitrice d'auto-école. Elle pourrait discuter de la dernière émission people de la télé, de ses acteurs préférés, des soldes qui approchent.

Khôl détourne son regard et fixe l'extérieur de la voiture, l'esprit embrumé. Il se dit qu'il n'a pas encore bien réalisé.