[Film]Les Couleurs du Diable

Vos films, vos musiques, vos bouquins... vos critiques

[Film]Les Couleurs du Diable

Messagede Damch le Mar 10 Juin 2008 23:54:49

Les Couleurs du Diable

de Alain Jessua 1996


Image



Synopsis

« Nicolas Morgan, jeune peintre de talent, rêve de devenir célèbre. Sa peinture se vend mal, la critique ne parle pas de lui. Un policier expert en peinture, Lauzon, lui fait remarquer que ses tableaux, portés vers les scènes de violence, ne sont pas vraiment crédibles, faute d'expérience vécue. Un riche et mystérieux mécène, (Bellisle) s'intéresse à lui, promet de lui "ouvrir la porte au bout du couloir", autrement dit de l'amener au meilleur de lui-même. Il lui fait successivement assister à un suicide du haut d'un immeuble en pleine nuit, à un match de boxe d'une extrême violence qui se termine par le massacre de l'un des combattants, au meurtre d'une strip-teaseuse derrière la vitre sans tain d'un peep-show. Chaque spectacle inspire Nicolas, qui atteint les sommets de son art en utilisant les couleurs offertes par Bellisle. Malgré les conseils de son compagnon d'atelier et de sa compagne, le jeune peintre s'engage toujours davantage dans la voie du succès. Lauzon le met en garde contre Bellisle, trafiquant d'oeuvres d'art sous haute surveillance ; un peintre, Peter Lazlo, précédente victime de Bellisle, lui prédit l'échec, avant de mourir dans des conditions mystérieuses. Sous ses yeux, Lauzon est précipité sous une rame de métro. Il découvre que d'une fenêtre en face, Bellisle l'épie dans le somptueux atelier qu'il lui a offert. Arrêté par la police, il parvient à s'échapper, grâce à Bellisle encore, qui l'abandonne dans le brouillard devant son refus de continuer. De retour à la galerie, Nicolas découvre que la peinture de ses tableaux se détruit et qu'il n'en reste plus rien. »


Avant-propos

Voici un film d'auteur particulièrement saisissant sur la plan plastique. Ce film est à voir avec un oeil d'artiste. Ne pensez pas le regarder par simple divertissement, il vous ennuierait. Toutefois, ce thriller fantastique plait ou ne plait pas. J'ai analysé ce film selon mon regard de plasticien en m'attardant sur ce qu'on appel la fiction d'image. Instant atemporel orchestré ou pas par le réalisateur dans le déroulé du film. J'espère pouvoir aiguiser votre oeil et non pas vous barber. Peut-être est-il mieux de voir le film avant de me lire. En tout cas bonne lecture !


Analyse

« Les Couleurs du Diable » est la rencontre de différents thèmes. Voyeurisme, mort, passion, nature et art se fondent dans un scénario bien orchestré. Le film d’Alain Jessua fait intervenir également multitude de concepts esthétiques. Détails, plans furtifs, plans rapides, cadrage, lumière, composition se mêlent afin de nourrir la formule suivante : tableaux, peintures, photographies au service du cinéma et inversement. Thèmes et concepts, ici, s’unissent et questionnent le support cinéma. Il nous faudrait des heures pour analyser toutes les caractéristiques du film tant il y a de détails spécifiques sur les diversités thématiques abordées par Alain Jessua. Dans « les Couleurs du Diable », je me focaliserai, de ce fait, sur ce duel : réalité contre fiction.
Afin d’illustrer ce pendant cinématographique, j’analyserai les fictions d’image sélectionnées au travers de trois verbes, trois axes :

- Insérer : le décor du film dans un contexte fictif perturbé par des éléments réalistes ;
- Figer : les images s’arrêtent, le temps s’écoule ou reste en suspens ;
- Evoluer : tableau, paysage, personnages et observateurs.


Fiction d'image

« Fixation d’image : une transposition de la réalité vers la fiction ? »

L’une des particularités du film est un travail sur l’image. Alain Jessua utilise une matérialisation de l’image par des détails picturaux. Ces images peintes se réfèrent clairement au héro du film Nicolas Morgan dont le métier est artiste peintre. L’art de Nicolas est de coucher sur toile des scènes de crimes imaginaires dans un style réaliste. S’appuyant sur cette discipline, Alain Jessua transpose à l’écran les travaux de Nicolas. Ce qui a pour effet de rompre la fluidité du film. Du fait le spectateur perd ses repères et essaie de comprendre la situation qu’il visualise.
J’appelle par « fluidité » ce qui est porté à l’écran ; on parle de déroulé du film. Le cinéma, d’ordre général, utilise le décor dans lequel des acteurs évoluent. C’est une succession de séquences qui permettent une lecture du film. Aussi une succession d’éléments réels choisis, sélectionnés, construisent le film. Ceci pour expliquer que le réalisateur, dans « les Couleurs du Diable » utilise des éléments fictifs tels que la représentation peinte d’une scène sur toute la largeur de l’écran de cinéma. Les repères dits réels n’existent pas jusqu’à ce que Alain Jessua viennent glisser sur ce décor peint un élément concret. Cet élément devrait permettre de conforter le spectateur.
Le générique du film traite directement de cette aspect. Il plonge directement le spectateur dans une situation d’inconfort et d’angoisse. Angoisse car l’image peinte présente une jeune fille sur le point de se faire poignarder. Son agresseur est sur la victime arme tranchante pointée au-dessus de sa gorge. Du fait que ce soit la première image du film, le spectateur essaie de se positionner et essaie de comprendre. Puis intervient un élément extérieur. Le main du peintre portant le pinceau imprégné de la couleur rouge glisse sur la toile et vient colorer le poignard de l’agresseur et le transforme de ce fait en assassin.

Rien que cette première fiction d’image en dit long sur le contenu du film, sur l’esthétique de l’image. Ce qui m’intéresse c’est le rapport entre l’image fictive : la peinture, et l’élément extérieur réel : la main de l’artiste. Comme je l’ai expliqué le cinéma est une fluidité de séquences. C’est ce qui permet la lecture de l’œuvre et conforte le spectateur. Ici, dès les premières images du film on observe une image figée. L’observateur a à peine le temps d’analyser l’image qu’un élément extérieur s’immisce sur celle-ci. D’une part cet élément facilite la compréhension de l’image mais d’une autre façon il vient perturber le regard. La main de l’artiste vient brouiller notre champ de vision. Comment interpréter cette dualité de sentiments vis-à-vis du spectateur ? Qu’implique une telle manœuvre du réalisateur ?

A mon sens, Alain Jessua invite le spectateur à entrer dans l’univers du film et son concept. Il affecte le scénario dans un monde où l’image aura un grand rôle à jouer. C’est de cette manière qu’il choisit de ne cadrer que sur une toile peinte. Puis il fait intervenir un élément extérieur qui représente le héro principal. Le spectateur comprend que le sujet du film va traiter de peinture.
En analysant davantage l’image peinte et en se plaçant, d’une part, du côté narratif et descriptif, l’univers empreint la débauche, le crime et le sang : la fille à moitié dévêtue est soumise au désir d’un homme prêt à la mettre à mort. Pulsion, folie, crime, mort et sang se succéderont au fil de l’histoire. Le specta-teur présuppose qu’il regardera un film policier, une série noir, un thriller.

En se plaçant maintenant du côté technique, le spectateur sait qu’il regarde un film, qu’il observe quelque chose de fictif, quelque chose de non-réaliste. Et le fait de commencer par le filmage d’une toile peinte nous interpelle. Regardons-nous un documentaire ? Ne nous questionnons-nous pas au regard des premières images ? C’est par cette accroche qu’Alain Jessua fait comprendre à l’observateur que le film traitera aussi de l’interaction entre le fictif et réel. Ces notions sont imprégnées par le passage d’un élément réel sur le tableau : la main de l’artiste. Pour soutenir plus avant cette idée, ces notions sont également amplifiées par la bande son : une incantation vaudou étrange qui rythme l’image pour devenir un son plus traditionnel avec le bandonéon. Le vaudou évoque le mystère, la mort, l’étrangeté ; le bandonéon raccorde par son son à la réalité, à ce qui est plus terre à terre, à ce qui est proche des gens. On remarquera aussi que dès qu’un élément réel vient perturber l’image fictive, il y a un déplacement de la caméra afin de faire comprendre mentalement une certaine gêne. La dualité fiction et réalité rythmera le film.

Ainsi Alain Jessua intercède par le biais d’une codification cinématographique une entrée en matière. Le réalisateur mêlera la fiction au réel afin d’emmener ou de faire perdre les spectateurs dans un imaginaire où sentiments humains se mélangent. C’est en cela que toute notion de temps disparaitra car le film transportera le spectateur jusqu’au bout. L’art du cinéma est un art qui permet à l’esprit de s’évader de manière atemporelle. Pour répondre à cette intemporalité, non seulement le réalisateur place des images fixes et fictives mais il se permet de jouer avec les éléments réels humains en les figeant.

Le cinéma comme je le disais est une succession d’images et de séquences. Je vous précisez également qu’Alain Jessua se servait du support peinture pour rompre le défilement des images. Le réalisateur orchestre donc son film pour mêler fictif au réel et réel au fictif. Seulement les peintures sont des images fixes par nature. La fiction se réserve de ce fait aux images peintes. Après tout un objet reste un objet, une peinture demeure une peinture. Pourtant Alain Jessua utilisera aussi les éléments humains réels dans une immobilité. On remarquera à plusieurs reprises le figement des acteurs ou plutôt des personnages du film notamment André Bellisle et Nicolas Morgan. En découvrant le film, il existe une symbiose manifeste et obscure entre ces deux personnages. Si l’image se fige sur l’un, elle se figera sur l’autre. Cette fiction d’image accroît la notion de mystère et d’étrangeté citée plus haut. J’irai même jusqu’à induire un rapport de force et pourtant, autour d’eux, tout s’arrête. Les personnages sont fixés sur la pellicule du film. Comme deux portraits de maîtres où le temps reste en suspens.
Même procédé lorsque Nicolas va retrouver Hélène, son ex-fiancée, dans leur appartement. Ici, le cadrage serré accentue la confrontation. Hélène et Nicolas discute dans l’entrebâillement de la porte chaînée. Les personnages prennent de la distance. L’une reste les pieds ancrés sur terre, l’autre s’imprègne de l’illusion de son art. De quel côté doit se placer le spectateur ? Il faut faire un choix : arpenter un monde fictif ou se conforter dans un monde réel ? La question restera en suspens et sera marquer par la perte de notion de temps.

Ainsi André Jessua fixe ses personnages de manière anodine sur la toile que ce soit en peinture ou en cinéma. Et de manière à apprécier plus encore ce procédé, il ira même jusqu’à figer l’image en mouvement. On l’a entraperçu auparavant dans le déroulé du film lorsque l’inspecteur Lauzon parle d’une des toile de Nicolas. La toile sur laquelle une femme tue un homme avec un révolver. L’homme reste en suspens dans les air. Image immobile d’une action. Mais là encore il ne s’agit que d’une peinture donc un objet fixe. Le réalisateur va donc faire un arrêt sur image complet. Un homme se suicide en se jetant du haut d’un immeuble. Lors de sa chute le réalisateur interrompt le fil de l’histoire en figeant le suicidaire dans les airs. Il y a là, en mon sens, une volonté du réalisateur de freiner la continuité de la pellicule cinématographique. Même si l’on pense que cet arrêt sur image est pour substituer l’état d’esprit du peintre quant à sa future création artistique, on sent bien qu’Alain Jessua se questionne sur le support cinéma. Trop d’indices pour une idée, il y a forcément autre chose derrière. Ne doit-on pas voir là une transposition du cinéaste dans l’image du peintre ? Doit-on se calquer dans l’imaginaire de la peinture pour enrailler la représentation de la réalité que la caméra filme ? Et pourtant, si on s’appuie sur « la Couleur du Diable », Nicolas Morgan est un artiste qui reproduira des faits réels. Confusion, échange, séparation, réunion : tout contribue à mêler ce qui est réel à ce qui est faux.

Cette idée de transposition du cinéaste vers le peintre fonctionne aussi avec le spectateur. Notamment quand le réalisateur décide d’utiliser la méthode cinématographique du plan objectif. La vision du héro principal se substitue avec la vision du spectateur notamment lorsque Nicolas utilise son appareil photographique. L’image est ciblée avec l’objectif de l’appareil telle que Nicolas la voit ainsi que nous observateur. Ce qui implique que le spectateur devient le héro du film. De même pour le cadreur, sous couvert du réalisateur, il prend la place du peintre qui lui-même devient photographe. Perte de repère, atemporalité. Où est la fiction de l’image ? A quoi peut-on s’attacher pour prouver un soupçon de réalisme ?

A mon sens, Alain Jessua veut enrayer le déroulement du film. La narration, réel, que le spectateur suit, s’arrête étrangement. Le film ne poursuit pas son scénario. C’est un ressenti qui affecte la traçabilité, la lecture du film. L’observateur est captivé par un autre espace. Le film devient peinture. Le film qui est une action continue se fige. Il n’avance plus. Alain Jessua semble vouloir rester dans un espace fixe qui n’a plus aucun rapport avec le cinéma. Il rompt les ponts du temps pour se retrouver dans la bi-dimensionnalité de la toile : peinture ou écran.

Alain Jessua utilise un autre procédé pour figer le mouvement. Il est un mixte entre l’idée d’insérer un élément fictif dans un élément réel et celle de l’arrêt sur l’image. Nicolas va voir un match de boxe. Au fur et à mesure que le combat avance, il perçoit sa future œuvre en direct. Les boxeurs combattent puis l’espace d’un instant la scène se change en esquisse. Nicolas brosse dans sa tête les peintures qu’il va faire. Ce qui est intéressant de montrer c’est que de ce fait le spectateur entre dans la tête du peintre, de même pour l’œil de la caméra.

Dans ce cas comme pour le plan objectif précédant, le spectateur ne sait plus ce qu’il est, ce qu’il fait. Alain Jessua transporte le public dans un univers qui s’avère être réel, puisqu’il se déroule sous nos yeux, mais aussi fictif car le traitement de l’esquisse indique le non-réalisme. Le film évolue ainsi dans ce paradoxe jusqu’à ce que les éléments réels deviennent fiction à part entière.

C’est d’une certaine manière le cas dans la scène du peep-show. Bellisle et Nicolas sont devant une vitre derrière laquelle se joue un spectacle. Le cadrage identifie cette vitre comme un tableau. Alors que les personnages principaux du film restent figés. Mais ce qui est plus surprenant c’est la composition que va en faire Nicolas. Il reproduit évidemment fidèlement la scène. Et à la touche finale, mentalement, la peinture rouge fluide, se substituera au sang de la victime. Lorsque l’élément réel devient fictif. Plus encore, la dernière scène mettra Valérie, l’amante de Nicolas, comme élément à pat entière de la toile vierge. Le sang de cette dernière viendra colorer le tableau.

La transposition du réel dans le fictif et du fictif dans le réel évolue constamment dans l’avancée du film. De telle sorte que les repères du spectateur s’estompe peu à peu car tout devient tableau. Nous n’avons plus affaire à une succession de séquences ancrées dans un univers réaliste mais à une exposition où écran de cinéma n’inscrit plus la notion du temps. Alain Jessua signe là sa dernière œuvre cinématographique. Peut-être a-t-il exploré ce qu’il souhaitait. Toujours est-il qu’il s’est consacré à la rédaction de romans. L’art de l’écriture doit permettre une meilleur évasion dans un univers complètement épris de rêves inassouvibles.
____________________________________________________________________________________________
Quand le Noir Baiser souffle, je m'offre tout mes désirs...
Avatar de l’utilisateur
Damch
Tavernier
 
Messages: 671
Inscription: Jeu 13 Mai 2004 16:31:52
Localisation: C'est une île perdue au milieu de l'océan...

Re: [Film]Les Couleurs du Diable

Messagede Earalia le Mer 11 Juin 2008 00:12:13

:schock:
Hé ben, ça c'est de la critique détaillée...

Bravo !
* En quittant la lumière, elle n'a jamais atteint les ombres... Elle erre, perdue entre deux mondes... semant sans cesse peine, douleur et destruction... en voulant servir le bien *
Avatar de l’utilisateur
Earalia
Archère Sacrée (fondatrice)
 
Messages: 1447
Inscription: Ven 16 Avr 2004 09:27:14
Localisation: 0110000101100101

Re: [Film]Les Couleurs du Diable

Messagede Alex le Mer 11 Juin 2008 21:06:40

oui en effet! Efflam a de la concurence!

Ca n'a pas l'air mal comme film en tout cas!
MJ de Stargate Armageddon
Fiche de perso Stargate : ici et Plan de combat ici



Oublie les peurs, les doutes et les vraisemblances... Libère ton esprit et sors du Système !.
Avatar de l’utilisateur
Alex
Conteur tentaculaire
 
Messages: 14063
Inscription: Jeu 28 Sep 2006 14:43:43


Retourner vers Mediathèque

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 2 invités