Leïla Fisher se figea, comme si elle venait de se résoudre à l'idée qui la tiraillait depuis qu'elle était arrivée en Dakota du Sud, stoïque, devant ces gens qui lui adressaient la parole… mais non, c'était simplement son GSM qui vibrait dans sa poche et qui l'avait surprise. Quelqu'un qui l'appelait. Elle le sortit pour répondre, sans faire cas du couple et de cet horrible petit chien qui faisait un bruit détestable avec ses jappements incessants.
— Ouais? Chaé?? … ben quoi « alors »? … Tu m'appelles juste pour te l'entendre dire… c'est ça? Pour que je m'incline et te dise que tu avais raison … Okay, tu as gagné. TU AVAIS RAISON! Contente?
Leïla sortit son appareil portatif, alors qu'elle continuait à parler et prit les deux jeunes gens d'une manière résignée, comme disant par sa gestuelle : « après tout, j'étais là pour ça, alors pourquoi perdre plus mon temps? ». Son visage, lui, c'était ridé d'un rictus contrarié, sous les railleries amusées et les rires de son amie que l'on pouvait entendre à l'autre bout du fils, avant que la conversation reprenne.
— Un boulot? Plus intéressant et moins ennuyeux… Ouais bien sûre. En fait, je crois que tu as raison, j'ai rien à faire là.
Elle nota les nouvelles instructions mentalement en retournant dans sa voiture. Elle démarra le moteur et fit un simple demi-tour. Elle raccrocha son GSM. Ouvrit la boite à gant et sortit la carte du Dakota du Sud qu'elle ouvrit sur le volant en roulant, regardant la voix la plus directe pour joindre l'aéroport le plus proche.
Elle roula comme ça plusieurs heures. Avant de se retrouver sur l'U.S. Route 281 qui allait la mener tout droit à l'Aberdeen Regional Airport. Le réservoir de la voiture était plein et la jeune femme était bien contente de ne pas avoir eût à retourner chercher de choses importantes à son hôtel. Elle n'avait plus qu'à suivre la monotone et droite ligne droite qui servait de route dans la région…
D'ailleurs, c'était bien à l'image de cet État, le Dakota du Sud : ennuyeux à mourir. L'air si ouvert, si libre, avec des lieux et des ambiances tellement différentes, des univers de vie unique… Du moins c'est ce qu'elle avait pensé en arrivant. Mais quelque chose n'allait pas. Cette détestable impression de marcher dans les mêmes pas d'autres avant elle, cette impression d'unicité... Tout y était formaté.
Un camion la croisa avec une pub étrange sur son côté : « Ton texte est toujours là, j'ai rien changé », et qui eut le mérite de la faire sourire. Est-ce que c'était sérieux? Etait-ce une blague d'un annonceur extravagant pour convaincre un publique crédule ou naïf? Docile sans doute et sans réflexion propre? Il y avait tant de manières de dénaturer un texte, tant de personnes se permettaient de faire la chose, avec des raisons toutes plus simples que sans fondement… oubliant que le texte appartient à son auteur, ne serait-ce que par son droit moral! Autant mettre ses doigts dans la bouche de quelqu'un en train de parler et de lui triturer la langue pour lui faire dire une même chose, mais d'une manière que l'on considère plus protocolaire, plus formelle, plus ressemblante au format imposé…
Elle frissonna à cette idée et que l'on puisse l'y soumettre. Et repensa à cet ami qui écrit sans ponctuation. Avec seulement des points et des majuscules. Et comment ses phrases cassantes, et drôles, élégantes et rafraîchissantes la distrayait avec la plus grande facilité.
Encore un qui n'aurait pas pu se faire au Dakota du Sud, pensait-elle?
*…*
Non, elle ne pensait à rien. Elle sortit un calepin où elle aurait pu noter toutes ces impressions d'une manière tellement « classique ». Mais quel intérêt? L'ennui en aurait été tel, comme cette époque: vide de son deux à triple zéro!
L'écriture était un jeu et elle voulait s'amuser. Ce que la norme lui refusait. Alors elle s'amusa à griffonner toutes sortes de lettres sur son calepin, sans buts ni règles précises, et voir ce qui pourrait en sortir. Sans doute quelque chose d'illisible. Un infâme torchon incompréhensible, qu'il faudrait soumettre pour autodafé.
Son humeur était sombre comme le vent qui courrait dans ses cheveux, mais, posant son regard sur sa feuille, à la pause d'un croisement, elle sourit, avant de gagner d'autres horizons, en jetant son dernier papier par la portière, qui s'étala sur le sol, offrant son côté gribouillé à la compréhension du profane dans une illisibilité parfaite:
*Alors non, vraiment, un autre argument.*